samedi 27 juillet 2024
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Noémie Robert – L’empreinte de L’être

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Noémie Robert est conteuse et célébrante de funérailles civiles, un métier nouveau en France où le sujet est resté longtemps tabou. Pour elle, parler de la mort c’est avant tout parler de la vie, ce qu’elle fait avec beaucoup d’enthousiasme et d’énergie positive.

Vous avez créé L’empreinte de L’être, quelle est votre activité Noémie Robert ?

J’accompagne les familles au moment des funérailles pour des familles qui souhaitent que le moment de la cérémonie ne soit pas nécessairement un temps religieux, mais qui souhaitent faire rayonner la personnalité de qui était leur défunt pour eux et quelles étaient leurs relations. Je les accompagne avec le conte, avec de la poésie, à vivre ensemble ce moment-là.

Quel est le lien avec le conte ?

C’est par le conte que je suis arrivée à ce métier de célébrante de funérailles civiles. C’est un métier qui n’existe pas encore beaucoup en France. Je me suis formée en Suisse et il y a quelques années, j’avais créé un spectacle de conte autour de la mort avec un collectif de conteurs. Et puis on avait été approchés par une coopérative funéraire, un collectif de citoyens, qui visait à apporter d’autres façons d’accompagner la mort et d’accompagner le moment des funérailles. C’est par cette rencontre avec eux que j’ai pu rejoindre un espace de recherche autour des rites funéraires civils, que j’ai pu découvrir l’immense besoin qu’il y avait à accompagner les funérailles autrement.

On est dans une situation en France aujourd’hui où la société se sécularise. On a moins de 5% des Français qui sont pratiquants et pourtant, on a plus de 74% des obsèques qui passent par l’église. Et ça c’est dû, en partie, à un manque d’alternatives. Ce qui est proposé aujourd’hui, souvent, ne répond pas pleinement à ce dont ont besoin les familles. Les équipements au crématorium sont très sollicités, donc souvent, les temps de passage pour les cérémonies c’est 15 minutes montre en main.

Souvent, les familles n’ont pas de temps de préparation sur ce qui va se passer pendant la cérémonie. Elles sont vraiment livrées à elles-mêmes alors que c’est un moment où on vient de recevoir l’annonce d’un décès et où on a des facultés cognitives qui sont affectées nécessairement par cette nouvelle. On veut faire preuve d’imagination, de se dire : « Qu’est-ce qu’on a le droit de faire ? ». On est très embêté là-dessus et, moi, je viens là pour ouvrir l’horizon des possibles et pour raconter un peu ce qu’on peut faire pour donner des éléments d’inspiration et puis entendre et écouter qui était leur défunt pour eux. C’est là où le conte vient vraiment soutenir pour moi, d’être capable d’entendre et de restituer une histoire et de leur redonner à entendre quelles étaient leurs relations, comment cette personne a marqué leur vie, quelle est la trace ou l’empreinte que cette personne va laisser dans leur vie à eux, et comment ils vont le retrouver autrement, à présent que ce n’est plus un vivant, mais qu’il fait partie de la communauté des défunts.

Pourquoi est-on dans cette situation en France ?

On n’a pas aujourd’hui de prise en charge sociétale d’un rite funéraire civil. On laisse les familles se débrouiller elles-mêmes. C’est dû à plusieurs raisons. D’abord, notre fonctionnement du monde funéraire aujourd’hui hérite de la séparation de l’Église et de l’État en 1905, ce qui a créé le service extérieur des pompes funèbres et ce dernier était extérieur à l’Église.

On a délégué au culte la gestion de la symbolique de la cérémonie, on leur a dit : « Ça, c’est vous qui allez vous en occuper », et puis tout ce qui est de la part matérielle de la cérémonie, de la logistique, la gestion des cimetières, c’est passé dans un premier temps aux communes avant d’être ouvert à la concurrence et globalement privatisé dans les années 1990.

Ce qu’il se passe c’est qu’entre le moment où on a eu cette séparation de l’Église et de l’État et aujourd’hui, on a une société française qui a complètement changé dans ses croyances, dans ses mœurs, dans ses pratiques, et on ne peut pas remplacer un symbole par du vide. Sauf que cet aspect du culte, de la part symbolique des funérailles qu’on avait confié à l’Église, on n’a pas collectivement choisi de s’en ressaisir, contrairement à ce qui a été fait dans d’autres pays. Par exemple, à Bruxelles en Belgique, on a des Maisons de la Laïcité financées par l’État au même titre que les autres cultes. C’est la façon dont ils les présentent et qui va financer la formation d’officiants civils, qui vont officier des baptêmes, des mariages et des funérailles.

Nous, collectivement, on n’a pas ça en France et les métiers des pompes funèbres, par le décret qui régit leur activité et comment ils fonctionnent, eh bien la partie de la formation des maîtres des cérémonies est très courte dans leur formation sur “qu’est-ce qu’on dit” et “qu’est-ce qu’on fait” pendant la cérémonie. On leur apprend essentiellement à avoir un catalogue de textes dans lesquels ils vont piocher et puis après, ils ont tellement peu de temps dans le modèle économique actuel de la plupart des pompes funèbres que c’est des textes à trous qu’ils vont reprendre.

Bien sûr, il y en a qui le font avec le cœur différemment, mais globalement, la réponse collective qui va être proposée c’est soit vous êtes une famille qui est capable de mobiliser de la ressource créative et artistique qui n’est pas trop complètement sous le coup de ce qui vient de vous arriver à ce moment-là et vous arrivez à faire en sorte que ce moment des funérailles vous ressemble un peu, soit vous allez prendre ce qu’on vous propose, ce qui est globalement un chemin, si vous êtes au crématorium, on va vous dire : « Eh bien ça va être trois musiques et un diaporama ».

Il y a un mouvement qui émerge en France de l’alternative funéraire qui vise à proposer d’autres façons de faire, d’autres façons d’accompagner les familles.

Noémie Robert

Donc aujourd’hui, il y a vraiment tout un mouvement qui émerge en France de l’alternative funéraire qui vise à proposer d’autres façons de faire, d’autres façons d’accompagner les familles, qui s’inspire de ce qu’il se passe dans les pays francophones voisins et ailleurs dans le monde. Le mouvement des Coopératives Funéraires vient par exemple du Québec. La célébration funéraire aujourd’hui, ce métier d’officiant laïque pour les funérailles, qui est mon métier, c’est un métier qui est bien installé maintenant en Suisse, qui a une reconnaissance institutionnelle, notamment au niveau de la Ville de Genève. Donc, moi, j’ai été soutenue par la Fondation de France et la Fondation Cognacq-Jay pour aller me former en Suisse et pour, petit à petit, participer à la professionnalisation du métier en France.

Quel est notre lien avec la mort ?

En une cinquantaine d’années, on a vraiment repoussé la mort en dehors de notre champ de vision. On en parle beaucoup des morts, par exemple pendant la crise sanitaire on a égrainé le nombre de morts du Covid tous les jours, on parle des accidents qui ont lieu à l’autre bout du monde, mais la mort intime telle qu’elle nous touche nous dans nos vies, dans nos quotidiens, dans nos relations, il n’y a pas d’espace pour en parler. Les endeuillés sont vraiment ramenés à quelque chose du genre : « Tu as tes quelques jours de repos après des funérailles et puis il faut vite revenir et être productif ». Et puis, surtout, il faut faire son deuil rapidement. Il y a cette injonction très forte qui est mise sur les endeuillés. Les mourants ne meurent plus à la maison. Globalement, les gens aujourd’hui meurent à l’hôpital. Je crois qu’on est à près de 70% de décès qui ont lieu en institution, soit en EHPAD, soit à l’hôpital.

Donc on n’est plus habitué à voir les corps de personnes mortes et on n’est plus habitué à avoir des espaces où on peut en parler ensemble. Il y a une « intimisation » de la mort qui s’est mise en place entre une époque où les gens naissaient sur un territoire et mouraient sur ce territoire et quand il y avait des funérailles dans le village, tout le village y allait parce que c’était quelqu’un qui habitait le village, qu’on le connaisse très bien ou pas. On avait des voisins dans la rue, on serait voisins dans le cimetière.

Aujourd’hui, on a des vies qui sont fragmentées, on naît à un endroit, on fait ses études à un autre endroit, on va travailler ailleurs, pour l’amour peut-être qu’on bougera encore plus loin, peut-être qu’on passera sa retraite à l’autre bout de la France dans un endroit où il y a du soleil et puis, au moment de ses funérailles, vont se retrouver rassemblées autour de nous des personnes qui parfois ne se sont jamais fréquentées et la seule chose qui les réunit, c’est leur défunt. Et ce qui se passe c’est qu’aujourd’hui, souvent à l’église, on parle très peu de leur défunt. Et au crématorium, comme il n’y a pas de temps de préparation et de personnalisation, on parle très peu de leur défunt aussi. Donc ces gens-là, qui ne sont réunis que par cette personne-là qu’ils ont connue, potentiellement, il n’y a pas de lien qui se fait entre eux, et mon métier c’est retisser du lien, retricoter.

Que sont les Cafés Mortels ?

Une autre facette de mon métier c’est justement de créer des espaces où on libère la parole dans l’espace public, où on se questionne collectivement sur quelle place pour la mort dans notre société, quelle place pour les endeuillés, comment collectivement on prend en compte des enjeux comme “on n’a pas de lieu de cérémonies civiles”, “pourquoi est-ce qu’on a des salles de mariage et pas de salle des funérailles ?”. Donc tous ces questionnements-là, je les porte à travers un format qui s’appelle le Café Mortel.

Quand on parle de la mort, on parle de la vie.

Noémie Robert

C’est un mouvement venu de Suisse il y a une vingtaine d’années et qui vise à créer des espaces qui ne sont ni des espaces de débats, on n’est pas là pour savoir qui a raison ou qui a tort, ni des espaces à visée thérapeutique. Ce n’est pas des espaces de soins, c’est des espaces entre mortels, entre vivants, un temps de partage de vécu de comment la mort nous touche nous en tant que vivants. Cafés Mortels sont des espaces que j’anime dans des cafés, dans des bistrots, dans des lieux culturels, notamment en écho à des manifestations culturelles. C’est des temps d’une grande chaleur humaine, d’une grande convivialité où on fait circuler ces histoires et ces récits sur la mort, qui sont extrêmement vivants parce que quand on parle de la mort, on parle de la vie.

On n’est pas sur cette caricature du deuil que l’on va traiter parfois comme s’il fallait tout reléguer au souvenir et quand le souvenir ne fait plus mal, c’est bon on a fait son deuil. J’ai l’impression que nos défunts, il y a des moments où ils peuvent être très soutenants, on les sent proches, on se demande : « Qu’est-ce que tu aurais fait dans cette situation ? Comment tu m’aurais conseillé ? ». Parfois ils nous agacent, parfois ils nous embêtent : « Tu aurais pu ne pas me laisser quand même », on peut être en colère contre eux pour ce qu’ils ont fait ou de la situation dans laquelle on se retrouve parce qu’ils ne sont plus là. Et puis parfois, il y a une douceur parce qu’il y a des choses que l’on fait parce que ça avait un sens vis-à-vis d’eux. Vous ne vous étiez jamais intéressé au potager, mais parce que votre papi est mort, d’un seul coup vous allez vous mettre à planter des courgettes alors que vous n’aimez même pas ça ! Mais vous le faites parce que ça avait un sens pour lui. Et d’un seul coup, c’est comme si on avait une sorte d’architecture intérieure qui se modifiait, une amplitude de lieu, de sens, qui allait nourrir notre vie et on les porte en nous d’une autre façon.

Je trouve ça beau la façon dont on peut se raconter, la façon dont nos morts nourrissent et emplissent notre vie aussi.

Noémie Robert

Et moi, je trouve ça beau la façon dont on peut se raconter, la façon dont nos morts nourrissent et emplissent notre vie aussi et pas seulement que sur le prisme de quelqu’un qui dit : « Ah, j’étais à des funérailles la semaine dernière… », « Mince, toutes mes condoléances ! », et on s’arrête là. Mais qui était cette personne pour toi ? C’était quoi votre relation ? Est-ce qu’il y a des choses, des objets, que tu as qui appartenaient à cette personne qui vont t’accompagner à présent ? Il y a plein de fils en fait que l’on peut tirer pour en parler ensemble.

J’intervenais à Bruxelles pour Día de Muertos, inspiré de cette fête mexicaine et ils ont fait dans la rue un immense Hôtel des Morts en invitant tous les gens qui le souhaitaient à faire des petites boîtes d’offrandes. Une boîte d’offrandes ce n’est pas une tombe, c’est quelque chose pour remercier le mort de qui il était, de ce qu’il aimait et puis de lui rendre hommage. Donc toutes ces petites boîtes qui sont mises dans cet immense Hôtel des Morts, qui est magnifique, c’est des prétextes à aller raconter : « Mais pourquoi tu as mis ça ? C’était quoi par rapport à cette personne ? ». Et à l’inauguration, il y avait une foule avec des étoiles dans les yeux, un sourire, une émotion et je me dis : « Wow, tous ces gens sont là parce qu’à un moment ou un autre, ils ont été touchés par la mort et ils sont là ensemble ». Je trouve ça beau de se dire qu’on peut être là ensemble aussi sur ces sujets-là.

Quel est votre parcours Noémie Robert ?

Je suis passée par les métiers du livre, par l’édition et par la librairie et puis, par un bon terreau familial qui a bien infusé, je porte des valeurs de l’Économie Sociale et Solidaire et j’ai fait un master à Sciences Po de Bordeaux en Économie Sociale et Solidaire et Innovation Sociale. Mais depuis que je suis gamine, parce que c’est de là d’où je viens aussi en Bretagne, j’ai toujours entendu raconter des histoires, j’ai toujours entendu des conteurs. Et par mimétisme, très rapidement, je me suis mise à raconter à mon tour.

Le conte a pris une place de plus en plus grande dans ma vie en parallèle de mes études, dans un premier temps, et c’est la rencontre entre ma pratique du conte et ce milieu de l’Économie Sociale et Solidaire qui m’a fait rencontrer les Coopératives Funéraires et par elles qui m’a fait rencontrer ce métier de célébrant de funérailles laïques. Et puis après, j’ai eu la chance de pouvoir être accompagnée par des fondations, notamment la Fondation de France qui m’a permis d’aller me former en Suisse parce que l’on va pas improviser devant les familles dans la façon dont on les accompagne. Il y a des compétences, c’est un vrai métier qui a des enjeux particuliers sur ce moment-là. Donc j’ai pu avoir le statut d’étudiante-entrepreneure dans un premier temps, aller me former en Suisse ensuite, et puis, aujourd’hui, je suis en Coopérative d’Activité et d’Emploi. Donc j’ai le statut de salarié-entrepreneur. Ma CAE s’appelle Ozon, ils sont extraordinaires et c’est un super collectif qui accompagne tout un tas d’activités tout aussi fantastiques les unes que les autres.

Des conseils pour lancer un projet ?

Il y a deux choses qui me viennent en tête, il y a les dispositifs d’accompagnement dont j’ai pu bénéficier, que ce soit le statut d’étudiante-entrepreneure dans un premier temps et puis des accompagnements comme avec Première Brique, l’incubateur d’Économie Sociale et Solidaire à Toulouse. Je suis accompagnée sur mon territoire aussi par les Figeacteurs et par une Coopérative d’Activité d’Emploi. Donc j’ai pu croiser ces différents accompagnements, ils sont extrêmement précieux pour moi pour avoir un regard et m’aider à faire grandir ma pratique.

Même si ce n’est pas parfait, il faut tester une première version et puis se dire qu’elle n’est pas figée, elle va évoluer et grandir avec le temps.

Noémie Robert

Dans un premier temps, j’ai passé beaucoup de temps à collecter de l’information pour comprendre dans quel environnement j’allais aller et à un moment donné, il faut oser faire quelque chose. Même si ce n’est pas parfait, il faut juste tester une première version et puis se dire qu’en effet cette version-là n’est pas figée, elle va évoluer et grandir avec le temps. C’est par les gens qui m’ont demandé dans un premier temps de faire des Cafés Mortels que ça a pris toute cette ampleur et cette place dans mon activité aujourd’hui, alors que je ne l’avais pas du tout écrit dans mon business model. Dans mon business plan ce n’était pas du tout ça ! Et donc avoir cette liberté de se dire : « Entre ce qu’on a projeté et ce qui va se passer ce sera différent », et tant mieux.

Photo de couverture Noémie Robert copyright Grizette.

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