Si les femmes s’émancipent aussi bien au travail que dans leur vie personnelle, si les tabous tombent petit à petit et que le sexisme recule dans tous les domaines, il reste bien une sphère où femmes et hommes ne sont pas à égalité : la publicité. De la publicité sexiste mettant en scène la ménagère dans les années 50 aux pubs actuelles hyper sexualisées, comment a évolué la représentation des femmes dans ce monde où esthétisme et rentabilité sont une priorité ? Quels horizons peut-on espérer pour plus d’égalité ?
De la ménagère à la femme objet
Dès les prémices de la publicité et jusqu’à aujourd’hui, des clichés plus ou moins évidents ont été exploités par les annonceurs. Si les stéréotypes ont toujours été présents, ils ont évolués au fil des années.
La démocratisation de l’électroménager dans les années 50 et son caractère libérateur pour les femmes est un filon juteux. Celles-ci sont essentiellement assignées à la maison, derrière les fourneaux ou aux tâches ménagères, endossant le rôle de bonnes épouses et tributaires des choix financiers de monsieur. La femme soumise se plie aux besoins de l’homme et des enfants.
Alors que les femmes s’émancipent et gagnent en indépendance dans les années 70, les spots publicitaires évoluent aussi. Travailleuse, active, indépendante… elle devient consommatrice et veut davantage se faire plaisir.
Dans les années 90, c’est l’apparition du cliché de la « femme objet ». Souvent hyper-sexualisé, le corps féminin devient un véritable produit de consommation. C’est la naissance du « porno chic » omniprésent dans la publicité sexiste.
La publicité sexiste, c’est aujourd’hui terminé ?
Les personnages occupant des rôles esthétiques ou inactifs sont en majorité des femmes.
Bien que moins évidents, les stéréotypes sont toujours bien présents dans nos publicités actuelles. Les publicités ouvertement sexistes ont laissé subtilement la place à des spots publicitaires très genrés. Une étude publiée par le CSA en 2017 révèle des chiffres plutôt consternants : les rôles d’expert sont réservés dans 82 % des cas à des hommes, deux tiers des personnes sexualisées sont des femmes, on fait appel à des hommes dans 78 % des cas pour parler d’argent et aux femmes pour parler de l’entretien du corps. Des constats pas si surprenants qui exploitent les clichés habituels et qui se retrouvent plus largement dans les médias.
Les femmes sont moins présentes (46 %) et ce sont globalement elles que l’on retrouve en cuisine et avec les enfants pendant que les hommes parlent assurance / banque / mutuelle / automobile. Toujours selon l’étude menée par le CSA en 2017, « les personnages occupant des rôles esthétiques ou inactifs sont en majorité des femmes ».
À lire aussi : Image et rôle des femmes dans les médias : l’égalité, une utopie ?
Quand les hommes aussi se mettent à nu
Bien que moins fréquentes, les publicités sexistes dégradant les hommes existent. Lancée essentiellement dans le milieu du parfum, l’image du mâle nu au corps de rêve le réduisant à son aspect esthétique est petit à petit devenu une référence pour les marques de luxe.
Avec l’émancipation des femmes dans les années 70, l’homme devient petit à petit un objet de consommation dont la femme forte peut se jouer, comme dans cette publicité Kookaï de 1990 présentant des hommes dans un distributeur ou le logo très explicite du site en ligne français AdopteUnMec.
Et l’apogée du porno chic dans les années 2000 n’exclue aucun sexe. L’homme passe du produit esthétique à un véritable objet sexuel. Et puis il y a les pubs qui ne font pas de jaloux comme la campagne Darty de 2013…
L’humour vu comme un prétexte
Au fil des années, le sexisme flagrant trouve de plus en plus de détracteurs. Mais pas question pour certains annonceurs de renoncer à d’illustres techniques publicitaires et ils ont pour cela plus d’un tour dans leur sac. Pourquoi ne pas utiliser l’humour ?
Sous couvert de second degré, des publicitaires utilisent régulièrement des clichés bien ancrés et déclenchent un (bad) buzz pour donner un coup de projecteur à la marque. En 2000, les jeux de mots de la marque Babette comparent la femme à la crème fraîche à travers des allusions sexuelles. En 2009, la société de location de voitures Sixt fait un tollé avec des publicités basées sur le cliché selon lequel les femmes ne savent pas conduire. En 2013, la mutuelle SMEREP place les blondes comme des cruches… des clichés qui ont la peau dure, que les annonceurs se permettent sous prétexte d’humour.
Épinglées par des associations féministes comme Les Chiennes de Garde, La Meute, Les Lionnes ou encore le compte Twitter Pépite Sexiste qui interpelle les marques (et obtient souvent des excuses en retour)… ces publicités à caractère humoristique font polémique et poussent généralement les annonceurs à les retirer tout en se défendant d’avoir voulu sous-entendre de quelconques propos sexistes. Sixt assure que « Les Français n’ont pas compris l’ironie » [1], la SMEREP confirme que « cette publicité avait été testée sur un public étudiant (…) elle faisait plutôt rire et n’a jamais choqué personne » [2] pendant que Babette se défend : « la création a été testée par des femmes et il n’y a eu aucun problème. En tout cas, il n’y avait de notre part aucune arrière-pensée ».
Des moyens pour dénoncer le sexisme dans la publicité
Créée en 1934 afin de lutter conte la publicité mensongère, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) vise aujourd’hui à promouvoir « la publicité saine, véridique et loyale ainsi qu’une communication responsable » en élaborant le guide des recommandations de la publicité. Le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) vient renforcer l’ARPP en 2008 en permettant à chacun de dénoncer une publicité en déposant une plainte.
Dans la même lignée et convaincue que l’ARPP ne suffit pas à endiguer le sexisme dans la pub, l’association Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) lutte depuis plus de 25 ans contre le système publicitaire et ses dérives. Espaces publics, transports, télévision, radio, Internet, mobiles, magazines, prospectus… Vous avez repéré un spot télévisuel dégradant ? L’observatoire de la publicité sexiste passe tous les spots de réclame au peigne fin et recense celles estimées sexistes à travers son formulaire de plainte.
Dénoncer oui, mais pas interdire. Si l’ARPP prône surtout l’autorégulation et que le CSA intervient au cas par cas, les sanctions sont globalement rares…
À lire aussi : Le marketing de genre épinglé par Miss Cactus.
Un reflet et un impact sur la société
La publicité est une forme de communication très puissante. Appel à la maigreur, louanges de la beauté, apologie de la jeunesse… Les spots publicitaires souvent retouchés et leurs injonctions à l’apparence renvoient une image de perfection du corps féminin et masculin difficilement atteignable. De quoi créer des complexes voire engendrer des problématiques de santé publique.
Le positionnement de l’homme en tant que mâle dominant, la réduction de la femme à l’état d’objet, ou encore l’hyper-sexualisation des enfants dans la publicités ne sont pas inoffensifs.
Affiches, spots de télévision ou de radio, écrans… Nous sommes confronté·e·s chaque jour à plus de 1 200 publicités selon France Culture [3]. La pub influence nos choix et nos décisions, forge nos représentations et reflète la société elle-même. Connaissant son pouvoir et plutôt que faire perdurer des clichés dégradants et dévalorisants, ne serait-ce pas l’occasion d’en faire plutôt un outil de grande portée pour lutter contre le sexisme ordinaire ?
Christelle Delarue, créatrice de la première agence publicitaire féministe, nous prouve avec Mad&Women que la publicité n’a pas besoin de stéréotypes pour faire ses preuves. En retravaillant tout le processus de création d’une publicité et en invitant les marques à se questionner plus largement sur les valeurs du féminisme au sein de leur entreprise, Christelle Delarue incite à des transformations profondes. Elle pousse entre autre la marque Minelli à troquer le stéréotype de la femme bourgeoise porté par le mannequin Georgia May Jagger pour celle de la femme indépendante, naturelle.
Quelques mois plus tard, la Caisse d’Épargne passe le message « Vouloir c’est pouvoir » aux femmes entrepreneures dans une campagne de publicité en 2018. Avec plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaire, l’agence de communication Mad&Women confirme, malgré le message envoyé par de nombreux annonceurs, que la publicité non sexiste a de beaux jours devant elle !
Exemple d’un engagement féministe décomplexé avec « Viva la vulva », une campagne britannique pour des produits d’hygiène intime, multi-primée en 2019, qui lève les tabous sur le corps des femmes :
[1] L’Obs : Le loueur Sixt invente la fausse vraie pub sexiste.
[2] Le Point : La smerep doit abandonner une campagne de pub jugée sexiste.
[3] France Culture : Les techniques publicitaires sont beaucoup plus agressives et intrusives qu’auparavant.
À lire aussi : Place des femmes dans le sport, un match pas encore gagné.