samedi 20 avril 2024
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[ ÉGALITÉ F/H ] Image et rôle des femmes dans les médias : l’égalité, une utopie ?

La société évolue, les débats concernant la parité et l’égalité émergent, les révélations et les polémiques comme #metoo et #balancetonporc mettent un coup de projecteur sur des problématiques profondément ancrées dans notre société. Égalité des salaires, abolition du harcèlement sexiste et des agressions… sont autant d’enjeux défendus chaque jour dans le combat pour l’égalité. Et pourtant, certains domaines restent en retrait et connaissent peu de progression. Que ce soit en terme de taux de présence ou d’image, la représentation des femmes dans les médias ne semble pas refléter l’évolution que connaît actuellement notre société. Décryptage.

Femmes dans les médias : un taux de présence nettement inférieur

Grâce à la mise en place d’un logiciel d’analyse acoustique, l’INA a pu mesurer le temps de parole des femmes sur un total de 700 000 heures de programmes TV et radio, journalistes et intervenantes confondues. Le constat est sans appel : les femmes ont parlé deux fois moins que les hommes depuis 2010. Peu présentes aux heures de forte audience, quasi absentes dans certains domaines comme le sport, rarement considérées comme « expertes » ou « spécialistes »… les femmes et ce, « quelle que soit la chaîne considérée, ne s’expriment en moyenne jamais plus que les hommes ». Un constat bien loin des idéaux de parité.

Un rôle bien rodé

Bien qu’elles soient majoritaires parmi les diplômé·e·s de l’enseignement supérieur, les femmes dans les médias ne représentent qu’une faible part des expert·e·s invité·e·s. Rarement appelées à parler politique, économie ou sport, elles se cantonnent plutôt à des rubriques considérées comme plus “légères” et qui font écho à leur rôle domestique comme la culture, la mode, la santé, l’éducation. Constat que soulève le CSA dans son rapport de 2017 sur la représentation des femmes à la TV et à la radio : « la catégorie “présentateur/animateur” présente une proportion de femmes et d’hommes relativement équilibrée (48% de femmes vs. 52% d’hommes) tandis que les catégories “expert” (35% de femmes vs. 65% d’hommes) et “invité politique” (27% de femmes vs. 73% d’hommes), sont toujours celles qui présentent les proportions les plus déséquilibrées ».

Le champ lexical employé en lui-même reflète une plus faible considération du discours. Les femmes dans les médias « témoignent », « racontent » pendant que les hommes « expliquent », « indiquent », « affirment ». Israa Lizati, journaliste invitée à la conférence Elles font l’actu ! organisée à Toulouse par le Club de la Presse Occitanie, parle de ségrégation horizontale : on a le même travail mais pas les mêmes thèmes.

femmes dans les médias
©ML

Un plafond de verre qui peine à voler en éclats

Les femmes ne manquent pas au sein des rédactions, elles sont même plutôt en majorité. Comme dans de nombreux domaines, c’est sur la question du poste occupé que les disparités se ressentent.

Selon une étude menée par le Club de la Presse Occitanie, seulement 3 femmes sur 10 personnes sont à la tête d’un média, et elles occupent 17% des postes à responsabilité. Leur salaire est globalement plus bas de 300 € par mois, selon la journaliste Israa Lizati. Moins de postes hauts placés leur sont globalement proposés, et les femmes s’estiment aussi souvent peu légitimes ou « trop prises par leur vie personnelle » pour occuper des postes qui requièrent souvent une implication totale. La question de l’égalité aux postes stratégiques implique donc des enjeux plus larges, au-delà du monde du travail, et sous-entend de questionner également la place de la femme dans le foyer.

Une image peu valorisante

L’image de la femme véhiculée par les médias (même inconsciente) nous rappelle que les stéréotypes sont toujours bien ancrés. « Les femmes sont plus souvent présentées avec un statut passif (sans travail, victimes, etc.), renvoyées aux domaines traditionnellement perçus comme féminins, davantage citées comme témoins, mères, épouses ou citoyennes anonymes (…) Les femmes sont toujours rapportées à des hommes (père, mentor, entraîneur…) et sont majoritairement sexualisées » affirme Sandy Montañola, Maîtresse de Conférences à l’Université Rennes 1 dans l’étude Femmes, Hommes, mode d’emploi dans les médias.

Les femmes dans les médias sont plus souvent citées par leur prénom seul

Autre forme de décrédibilisation évidente, les femmes dans les médias sont plus souvent citées par leur prénom seul et elles apparaissent moins dans l’exercice de leurs fonctions. Le domaine de la politique en est un très bon exemple : alors qu’on se permet d’évoquer « Ségolène » ou « Marine », on parle de « Macron », « Hollande » ou « Sarkozy ». N’était-ce pas évident lors des élections opposant « Ségolène et Sarkozy », ou « Ségo et Sarko » ?
Sandy Montañola poursuit : « le discours médiatique stigmatise d’ailleurs les femmes qui contreviennent, par leur violence, leurs corps ou les postes qu’elles occupent, aux représentations traditionnellement attendues de la féminité (telles les femmes politiques par exemple…) ».

femmes dans les médias

Une place séduisante… dans la publicité

Bien que l’on y compte presque autant de femmes (46%) que d’hommes (54%), le milieu de la publicité est un indicateur intéressant en terme de représentation des femmes. Dans une étude publiée en 2017, et après avoir examiné plus de 2 000 messages publicitaires télévisés, le CSA confirme :

« le rôle attribué aux femmes est réducteur et, volontairement ou non, des stéréotypes de genre imprègnent encore un grand nombre de messages. Il peuvent être plus ou moins lourds, se glisser au détour d’une phrase ou d’une image, parfois à l’état subliminal. Ils se veulent le reflet de l’état de la société, mais le caricaturent souvent ».

Les clichés de femme fatale, de mère de famille, ou de préposée aux tâches domestiques résistent. Sans surprise, les expert·e·s sont presque exclusivement des hommes (82% contre 18% de femmes) aussi dans la publicité. Qu’en est-il des publicités à caractère suggestif, celles où les personnages sont totalement ou partiellement nus ? Ce sont à 67% des femmes qui sont mises en scène !

« Tous les stéréotypes de genre véhiculés dans les publicités télévisées ne sont pas nécessairement dégradants » mais l’étude révèle que « nombre d’entre eux donnent à voir des femmes consommatrices plutôt qu’expertes, des femmes dont la présence se concentre dans certaines catégories de produits ayant trait à l’entretien du corps ou à l’habillement et à la parfumerie, mais également des femmes parfois réduites à l’état d’objet de désir, sans que le lien avec le produit promu soit toujours évident ».

Un constat inquiétant, sachant que nous sommes confronté·e·s chaque jour à près de 1 200 publicités, ce à tous les âges et de manière quasi continue, et que l’on connaît l’influence et la portée de ces spots publicitaires sur les constructions sociales.

Femmes dans les médias : évolution ou régression ?

L’étude annuelle PressEdd révèle que les femmes auraient été encore moins présentes dans la presse écrite en 2018 qu’en 2017, suite à l’analyse de près de 3 000 titres de presse, papier et Internet. Dans son classement des personnalités les plus médiatisées en France, seulement 15,3% sont des femmes (contre 16,9% en 2017). C’est le deuxième niveau le plus bas en six ans. Parmi ces femmes « les plus médiatisées », moins d’un quart ont fait la Une de la presse écrite en 2018. On dénombre moins de femmes politiques en 2018 (35%) qu’en 2017 (39%) et autant de femmes dans le domaine du business, soit 1%. Un constat peu reluisant et surprenant, toujours en décalage avec le débat public où les questions de sexisme et d’égalité des sexes s’imposent.

femmes dans les médias
PressEdd©DR

Une meilleure parité à la télé

Concernant la place des femmes à la télévision, c’est un constat plus rassurant que nous livre Sylvie Pierre Brossolette, conseillère au CSA, saluant des « chiffres positifs » et affirmant que « le mouvement est lancé ». Les femmes seraient plus présentes qu’il y a six ans dans les divertissements (43%), les fictions (40%) et l’information (38%), passant globalement de 36% de présence en 2016 à 39% en 2018. Selon Sylvie Pierre Brossolette, elles endossent aussi des rôles de meilleure qualité (personnage principal, héroïne). Un constat plutôt encourageant qui se vérifie surtout dans le service public – les chaînes du secteur privé restant à la traîne.

Le langage comme vecteur d’égalité

On comprend donc qu’il sera difficile d’observer des changements profonds dans notre société tant que le taux de présence et la représentation ne seront pas paritaires dans nos médias. Et qu’en est-il de notre langage, notre écriture ? Sont-ils sexistes ? Neutres ?

femmes dans les médiasPour Éliane Viennot, professeure de Littérature française qui s’intéresse particulièrement aux relations de pouvoir entre les sexes, c’est une évidence : le langage et l’écriture actuels ont des marques sexistes. Si pour certain·e·s c’est loin d’être une « priorité », pour elle, le combat n’a rien d’anecdotique. Il s’agit de « se débarrasser autant que faire se peut d’habitudes langagières, voire de règles de grammaire qui témoignent de la domination du masculin sur le féminin – et donc renforcent celle des hommes sur les femmes ».

Pourquoi dire les « Hommes » quand on peut parler des « êtres humains » ? Pourquoi nommer « les sciences de l’homme » ce qu’on enseigne comme « sciences humaines » ? Agacée que dès l’école, la fameuse règle « le masculin l’emporte sur le féminin » tente d’expliquer sans logique une supériorité masculine dans le langage, Éliane Viennot nous rappelle quelques termes utilisés sous l’ancien régime : médecine, autrice, poétesse, peintresse… qui n’ont rien d’un néologisme mais qui ont en fait des siècles d’existence. Là où l’Académie crie au « péril mortel » de la langue, Éliane Viennot répond : « il n’est pas question de dénaturer la langue française, il s’agirait simplement de réutiliser des mots oubliés, historiquement existants ». Le point médian, aussi surprenant a-t-il pu être, deviendra très vite une habitude : « qui aujourd’hui protesterait contre les cédilles, les trémas, les accents, les points-virgules ou les points de suspension ? ».

Un annuaire des femmes expertes en Occitanie

C’est pour questionner l’évolution de la langue française mais aussi la place des femmes dans les rédactions ou encore les initiatives des médias en faveur d’une meilleure visibilité des femmes [comme notre web-série Elles sont l’Occitanie, diffusée depuis 2017 sur Grizette, NDLR], que l’équipe du Club de la Presse Occitanie organisaient en décembre 2018 à Toulouse leur soirée Elles font l’actu !. La commission Femmes et Médias du Club de la Presse Occitanie œuvre depuis 2014 pour améliorer et renforcer l’image de la femme dans nos médias régionaux à travers des études et des soirées de promotion. Un combat loin d’être gagné malgré de timides évolutions, qui va nécessiter des engagements concrets de la part des rédactions et des sanctions en cas de non respect de ces engagements.

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Annuaire des Expertes 2018©ML

À l’instar du Guide des Expertes – une base de données numérique des femmes françaises et francophones, expertes dans certains domaines – le Club de la Presse présente également lors de cette soirée son Annuaire des Expertes en Occitanie, distribué gratuitement aux rédactions, qui répertorie les femmes expertes de la région – professeures, spécialistes, universitaires, économistes… Il n’y a plus de (bonne) raison de ne faire appel qu’à des hommes !

Prenons la Une, un collectif de femmes journalistes

Créée en janvier 2014 à l’initiative des journalistes Claire Alet (Alternatives économiques) et Léa Lejeune (Challenges), l’association Prenons la Une a pour objectif de mobiliser la profession pour « une juste représentation des femmes dans les médias et l’égalité professionnelle dans les rédactions ». Ensemble, elles réunissent une trentaine de journalistes de la presse écrite, web, radio et TV, et rassemblent plus de 200 signatures dans le manifeste fondateur du collectif publié le 3 mars 2014 dans Libération.

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