mercredi 24 avril 2024
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Sextremisme : Femen ouvre la voie

Mouvement venu d’Ukraine, les Femen font le buzz avec des actions commandos menées seins nus. Pour comprendre ces activistes féministes retour sur les motivations d’une ancienne membre.

Après sa fuite d’Ukraine et son arrivée en France, Inna Shevchenko, une de leur leader, n’a pas ménagé sa peine pour faire connaître son centre Femen international. Le mode d’action de ces activistes féministes n’est pas toujours compris mais les réactions qu’elles déclenchent surprennent bien plus. Pourquoi tant de fureur ?

Déjà, elles assument leur corps. Alors certes me direz-vous, elles sont belles – et certaines très rondes même si on a tendance à ne pas le voir. Oui, mais quand même, il faut oser ce contre-emploi. Avoir le courage de revendiquer ainsi torse nu. Se réapproprier son corps et ne plus laisser le champ aux seuls publicitaires et industriels de la prostitution et de la pornographie. Cela m’a toujours exaspérée que les hommes imposent leur torse nu sans raison et souvent de façon déplacée. Je me dis pourquoi eux et pas nous ? Au-delà de leur force face à la morale sociale, la façon dont elles s’assument et imposent l’égalité des corps me fait aborder la lutte féministe sous un angle nouveau. Moi je la voyais plutôt dans une approche « à armes égales », tentant de gommer la féminité et la masculinité pour un débat de cerveau à cerveau. Femen m’oblige à réfléchir différemment.

Ensuite, elles font preuve d’un courage époustouflant en s’exposant ainsi fragilisées. Attention, le terme « fragilisées » n’engage que moi puisqu’elles considèrent leur corps et leurs seins comme une arme. Une arme pacifique. Ces guerrières portent des fleurs, et ne tuent pas. Pas d’armure non plus, lorsque ces amazones affrontent les sbires du dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko devant le siège du KGB, Poutine ou encore l’ire populaire en Tunisie. Mais où trouvent-elles le courage ou l’inconscience ou le je-ne-sais-quoi qui leur permet d’oser ? Exit les joutes verbales dans un mode protégé. Elles s’exposent face à des personnes violentes, sans scrupule qui peuvent au mieux les tuer et au pire les faire disparaître dans des geôles de tortures quotidiennes !

Une activiste toulousaine

Aussi, lorsque l’occasion de me trouver auprès de l’une de celles qui ont fait un passage dans le mouvement s’est présentée, difficile de juguler le flot de mon questionnement.
Solveig Halloin, activiste féministe toulousaine a quitté le mouvement mais reste profondément convaincue des vertus de ce mode d’action.

Alors tout d’abord, comment en vient-on à ce type d’opération commando ?

«Je suis née en patriarchie, et j’ai reçu une éducation extrêmement misogyne. À un point tel que lorsque j’ai subi des agressions, je n’ai même pas pu les identifier. J’étais opprimée sans même m’en rendre compte. J’ai vécu 34 ans et demi sans conscience de mon aliénation. » Avec deux maîtrises de lettres et théâtrologie, elle se destinait à une carrière de dramaturge. Mais dans le théâtre, si les femmes peuvent espérer devenir comédiennes, les places de dramaturge leur sont quasiment inaccessibles. « Au conservatoire comme à l’école internationale de théâtre, les professeurs sautaient sur leurs élèves et cela ne me choquait même pas ! » Pendant cinq ans, elle n’étudie que des auteurs hommes, des pièces écrites par des hommes pour des hommes.
À 34 ans, avec deux enfants, elle vit ce qu’elle appelle pudiquement son « point culminant d’atrocité » :

« Je perds pied et j’atterris dans une association de lutte contre les violences conjugales. Grâce à leur qualité d’écoute, j’ai pu libérer ma parole et j’ai commencé à comprendre ce que je vivais.  J’ai compris aussi que ce n’était pas juste mon parcours mais le parcours des femmes. »

Cette période lui coûte notamment son travail. Elle découvre les auteurs féminins « avec Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir, je lisais pour la première fois quelque chose qui parlait de moi. Après Nietzsche, Shakespeare, c’était une découverte. »

Elle crée alors sa première pièce de théâtre « Les miroirs de l’Alouette ». « Molière a écrit Dom Juan pour parler de la condition masculine, je voulais écrire la partition de Doña Elvire ou de Charlotte. » Au même moment, elle découvre un visuel de femmes blondes, des Ukrainiennes, qui revendiquent en portant des fleurs sur la tête, symbole de la femme libre. « Et là, je réalise que des femmes sont dans le passage à l’acte. Je deviens rapidement addict à leur page Facebook et je lis tout ce qu’il est possible de lire sur leur sujet. Pour leur premier combat, elles se dressent contre la prostitution. Leur slogan est « L’Ukraine n’est pas un bordel ». Il faut savoir que l’horizon des femmes ukrainiennes se réduit au mariage ou à la prostitution. »

Passage à l’acte

Solveig Halloin partage également les fondements de la lutte des Femen :

Leur combat s’appuie sur trois piliers : la lutte contre la dictature, la lutte contre les religions – outil d’asservissement des femmes – et la lutte contre la prostitution. Je me dis à ce moment-là que je veux être dans l’action directe.

La lutte topless n’est pas du tout nouvelle. À travers le monde et l’histoire, les femmes utilisent ce mode de contestation. « Les femmes africaines notamment secouent leurs seins nus. C’est un geste de désespoir lorsque l’on a tout essayé. » Force est de reconnaître que les médias affluent lorsque les filles sont seins nus. Le passage au topless n’est pas étranger au succès. Ces performeuses déclenchaient beaucoup moins d’engouement habillées même si déjà elles montaient leurs actions comme des pièces de théâtre.
Or la médiatisation de Femen est la seule protection dont elles disposent pour affronter les dictateurs. Lors de leur incursion en Biélorussie, les filles victimes d’une nuit de torture n’ont dû leur survie qu’à ce seul biais.

Femen
©Femen Women’s Movement

L’occasion de passer à l’action ne va pas tarder pour Solveig lorsqu’Amina, une Femen tunisienne est arrêtée au printemps 2013. En solidarité « parce que le féminisme existe pour qu’aucune femme n’ait à se défendre seule », les activistes toulousaines organisent une manifestation devant l’ambassade tunisienne de Toulouse alors que le président Hollande se déplace en Tunisie. Solveig veut mettre en perspective la lutte d’Angela Davis et celle d’Amina. Les autres militantes l’avaient prévenue qu’elles n’enlèveraient pas le haut. Pourtant lors de l’opération, quand les forces de l’ordre s’agitent et que le préfet de région tente de la dissuader, ce sont 15 à 20 femmes qui dénudent leur poitrine. Certaines ont 60 ans. « Si elles ne s’étaient pas rhabillées, jamais ils n’auraient pu nous arrêter. Surtout que l’article de loi sur l’exhibition sexuelle (cf notre article) est flou. Les forces de l’ordre ne sont pas très à l’aise avec ça. » Lorsque la police interpelle la jeune femme, ses camarades la filment, la suivent jusqu’au commissariat. Ce film sera posté sur la page Facebook des Femen. Inna répond dès le lendemain « welcomesister » et l’invite à participer à leur summer camp.

Là, elle découvre leur réalité. Après l’incendie de leur QG au Lavoir Moderne, les militantes passent de squats en squats, se nourrissent de boîtes de thon et de pain. Les entraînements sont durs, à l’image de leurs actions très physiques. « Des filles arrivent d’Espagne, d’Australie, de Suède… elles dorment sur place, sans même la possibilité de faire une lessive. Les conditions sont rudes, alors lorsqu’on affabule sur leur soi-disant financement ! »

Si Solveig, pour des raisons qui lui appartiennent, a quitté le mouvement, elle continue d’utiliser la revendication corporelle et défend bec et ongle leur lutte : « elles s’épuisent dans la lutte. Anna Hutsol, la fondatrice a été battue sauvagement. Elles font face à une mauvaise foi hallucinante. On les prétend belliqueuses alors que ce sont elles qui prennent des coups. Elles restent éminemment symboliques et pacifiques. Ce sont des gorgones. »

Eloïse Bouton, une des toutes premières Femen françaises, parle d’un mouvement « qui expose énormément les filles. Le coût est humain, financier en plus des risques lors des opérations, des menaces permanentes et des violences psychologiques incessantes. Au départ, nous bénéficions de l’effet de surprise. Mais maintenant, Femen fait partie du paysage médiatique. Les filles sont attendues. Cela demande du renouvellement. »

Aussi la jeune femme milite-t-elle pour le pluralisme : « Il n’existe pas un féminisme mais des féminismes. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de rester libre et d’intervenir ponctuellement dans différents mouvements comme La Barbe et d’autres. Je crois qu’il faut agir de façon ponctuelle sur différentes opérations. »

En résumé, toutes les actions sont bonnes à prendre. Femen démontre au moins une chose : la force est en chacune de nous.

En bref

Site officiel FEMEN
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