jeudi 18 avril 2024
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Violences sexuelles : État d’urgence

Les chiffres des violences sexuelles sont là, terrifiants. En France, 1 femme sur 4 et 1 homme sur 6 sont ou seront victimes d’une ou plusieurs agressions sexuelles au cours de leur vie.

Pour comprendre et briser le tabou de ce véritable phénomène de société, entretien avec Carole Bodin, thérapeute psycho-corporelle et responsable de l’antenne Stop aux Violences Sexuelles de Montpellier.

Comment les violences sexuelles sont-elles définies ?

Les termes de violences sexuelles couvrent différents types d’agression, de l’exhibition au viol.

Le code pénal distingue deux types d’agression : le viol, qui se définit par un acte de pénétration de quelque nature qu’il soit et qui est un crime jugé en Cour d’Assises, et les « autres » agressions sexuelles : baisers, caresses, attouchements, harcèlement, exhibition, qui sont jugés comme des délits. L’article 222-22 du code pénal les définit comme tels : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ».

Quels sont les chiffres et que sait-on des victimes de violences sexuelles en France ?

Il n’y a pas de victimes « types » et le phénomène est très inquiétant. Il n’y a pas d’âge, de sexe ou de milieux socioprofessionnels épargnés par les violences sexuelles.

La victimologie est très large, même si les femmes et les mineurs sont particulièrement touchés : 50% des violences sont en effet commises sur les moins de 15 ans (source ONDRP). En 2010, les données police/gendarmerie déclaraient 10 000 viols/an, mais ce chiffre ne comprend que les plaintes enregistrées, ce qui laisse imaginer l’ampleur de la réalité. Il faut savoir qu’actuellement 15% de la population carcérale est composée d’agresseurs sexuels. Les violences sexuelles perpétrées sur des enfants de tous âges, dans un cercle intime ou familial sont nombreuses. On estime qu’1 personne sur 4 connaît une victime d’inceste. Nous nous battons pour la tolérance zéro en la matière, notamment en soutenant le projet de loi visant à modifier le régime de prescription des viols et autres violences sexuelles. Il faut briser la loi du silence.

Quelles sont les conséquences physiques et psychologiques pour les victimes ?

Chaque personne est unique et va réagir différemment à une agression sexuelle, en fonction de ses capacités de résilience, du soutien de son entourage… mais c’est un traumatisme profond dont les séquelles peuvent s’avérer sévères. Le crime sexuel est un traumatisme des cinq sens. Il bouleverse l’image du corps. En tant que thérapeute, j’ai constaté qu’il affecte autant la psyché que le corps. Quand la parole ne peut pas se libérer, le corps somatise. Certaines victimes, en plus d’un état de stress post-traumatique fréquent ou d’une plongée en dépression, développent des affections graves telles que des cancers, du diabète, des déséquilibres auto-immuns, souffrent de fatigue chronique, de troubles alimentaires, du sommeil, d’agoraphobie, de troubles de la sexualité, de stérilité ou développent des addictions…

Traiter un tel traumatisme nécessite une aide adaptée pour surmonter cette épreuve, mais on peut guérir de l’abus sexuel et réapprendre à faire confiance.

S’informer, témoigner, se faire aider… l’association SVS en action

Ateliers Résilience – Guérir d’une agression sexuelle – Apprentissage du respect de son propre corps. Les samedis de 9h à 17h. (100 € la journée)

« En plus de la parole, nos ateliers de thérapie psycho-corporelle prennent en compte la dimension spécifique du corps. Grâce à nos outils – mises en situation, exercices, massages…, nous aidons les patients à récupérer leur force, à retrouver estime de soi et confiance en eux grâce à un travail sur les distances, la reconstruction des limites d’un territoire qui a été violé. Reprendre son propre pouvoir et ré-habiter son corps en toute sécurité… »

Maison Vive – 5 rue Boyer, Montpellier. Tél. 04 99 92 84 57

www.stopauxviolencessexuelles.com

violences sexuelles

Témoignages

Étudiante, je vivais en banlieue parisienne et me déplaçais en RER. Un soir en rentrant seule, je me suis retrouvée dans une rame quasi-vide. À une station, cinq jeunes sont montés. Ils sont venus s’asseoir autour de moi, bloquant le passage entre les banquettes. L’un deux s’est mis à me caresser la cuisse en me disant : « tu sais que je peux faire ce que je veux de toi  ». Ils ricanaient et prenaient apparemment beaucoup de plaisir à me terroriser. J’étais persuadée qu’ils allaient me violer. Dans un élan de survie, je me suis levée d’un bond et j’ai foncé vers les portes, ils m’ont suivie, restant collés à moi dans mon dos. Les portes ouvertes, je suis partie en courant comme une folle. En sortant de la station, je me suis jetée sur la voiture d’une patrouille de police. Les jeunes ont lancé un regard vers moi et ont détalé dans l’autre sens. Ce qui m’a le plus traumatisée, c’est ce sentiment de vulnérabilité, d’être à la merci d’autrui.

Magalie, 38 ans.

 J’ai réalisé que j’avais été victime d’une agression sexuelle plusieurs années après les faits. J’étais en soirée, dans un club de salsa. Depuis plus d’une heure, je dansais avec un très bon danseur plus âgé que moi. Je m’éclatais, transpirais, c’était super mais je le ne draguais pas. Quand il m’a pris par la main et m’a entraînée vers la sortie, je n’ai pas pu – ni su – quoi lui dire. C’est comme s’il avait estimé avoir mon accord tacite. Nous sommes allés chez lui, je n’en avais pas envie mais j’étais comme absente de mon corps. Je culpabilisais pensant sans le vouloir lui avoir envoyé des signaux sexuels durant la soirée et j’en ai perdu mon libre-arbitre. Il ne m’a pas violentée, simplement il ne m’a pas demandé mon avis, j’étais « ailleurs » pendant l’acte, inerte. J’ai occulté cette histoire car je m’en veux, alors je fais comme si cela n’avait jamais existé.

Elise, 27 ans.

Mon père a refait sa vie quand j’avais 11 ans. Sa femme avait un fils d’un an plus âgé que moi. Très vite, j’ai été victime d’attouchements de sa part et l’année de mes 13 ans, il m’a violée. Ça a duré jusqu’à mes 18 ans. C’était pourtant un ado charmant, serviable en famille mais moi, j’étais devenue son jouet. Personne ne s’est aperçu de rien et je n’en ai jamais parlé à quiconque, ni porté plainte. Je me disais que j’allais tout détruire si je parlais, que la famille allait éclater, que j’allais faire le malheur de mon père heureux en couple. Pendant les repas, je me mordais la langue, je me disais : «  je vais le dire, je vais le dire dans 5 minutes, puis après le dessert, puis quand on sera dans la cuisine », mais jamais un mot n’est sorti de ma bouche. J’ai vite quitté la maison et commencé ma vie avec un rapport aux hommes perturbé, toujours attirée par des garçons en apparence solides et protecteurs mais en vérité possessifs et manipulateurs. Vers l’âge de 25 ans et après avoir vu plusieurs psys, j’ai tenté de parler à mon père par allusions. Il s’était séparé mais je ne voulais pas qu’il porte une culpabilité à posteriori. Je ne sais pas s’il a compris ce que j’essayais de dire mais ça m’a soulagée.

Gaëlle, 40 ans.

 Je venais de me garer quand on a tapé à ma vitre. Je me suis retournée et j’ai fait face à un sexe d’homme collé sur ma vitre. J’ai eu un haut-le-cœur et mon rythme cardiaque s’est accéléré. L’homme se frottait sous mes yeux, avec seulement la vitre entre nous. J’ai crié, je tremblais. Il a remonté son pantalon et tourné les talons sans se presser. Je suis restée choquée un moment sans savoir quoi faire, avant d’aller à la police donner mon témoignage. J’y repense souvent, ça m’a dégoûtée. J’ai peur qu’il recommence.

Noémie 22 ans.

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