Avec ses associés, ingénieurs agronomes comme elle, Jessica Gros a créé « Locavorium ». Dans ce magasin, elle recrée le lien entre producteurs et consommateurs et défend une agriculture durable.
Découvrez l’interview dans son intégralité :
Il y a deux ans maintenant, j’ai monté avec mes collègues un magasin de produits 100 % locaux en direct des producteurs. « Locavorium » parce qu’on parle des « locavores », des gens qui cherchent à consommer local. L’idée de ce magasin est de proposer un lieu unique dans lequel on peut trouver des produits de la région qui viennent en direct des producteurs. Aujourd’hui, on travaille avec 160 producteurs qui nous apportent chaque jour des fruits, des légumes, de la viande, des fromages. L’idée est vraiment de regrouper en un lieu unique tous les bons produits du coin.
Comment est né ce projet ?
On est trois ingénieurs agronomes – et amis – à avoir monté ce magasin. On a fait nos études ensemble dans le monde de l’agronomie. On s’est rencontré en Prépa Bio, chacun s’est plus ou moins spécialisé dans les thématiques de l’environnement, de l’agriculture durable. Et forcément, les discussions qui nous animaient tournaient toujours autour de l’agriculture, comment soutenir les producteurs locaux, comment faire en sorte que chaque consommateur puisse aussi s’investir via son alimentation dans une agriculture plus durable… Petit à petit, on s’est dit qu’une des solutions pour soutenir tout cela serait de monter un magasin qui réponde à nos attentes en tant que consommateur mais aussi en tant qu’agronomes pour soutenir l’agriculture.
Comment des ingénieurs agronomes se retrouvent entrepreneurs ?
Finalement, le passage n’est pas si simple que ça ! Parce que justement, il y a plein de clés qu’on n’a pas eu au moment du passage de l’idée à la concrétisation du projet, mais qu’on aurait peut-être pu apprendre en faisant des études dans la création d’entreprise. Malgré tout, l’objectif de la formation d’ingénieur est de savoir résoudre des problèmes, or celui qu’on avait devant nous était : « On veut ouvrir un magasin mais on ne sait pas comment faire. Alors on va chercher les informations qu’il nous faut, on essaie de se faire accompagner par les bonnes personnes ». Du coup, ça s’est fait petit à petit. Il y a eu forcément des petits couacs, mais vu qu’on est trois, ça permettait quand même de se soutenir à chaque fois, se réorienter, trouver les personnes clés pour nous accompagner. Peut-être qu’on a mis plus de temps que quelqu’un du monde de l’entreprenariat, mais comme on le fait avec le cœur, ça prend du temps mais on espère que ce sera durable.
Notre mission d’ingénieurs : aller trouver ces producteurs qui font du bon travail et faire de la pédagogie auprès de nos clients.
Il est vrai que la partie visible de notre travail au quotidien est d’encaisser des produits, discuter avec des clients… Mais au final, le fond du sujet est qu’en tant qu’agronomes, nous sélectionnons des producteurs qui ont une démarche durable. Notre vrai rôle est là, c’est notre mission d’ingénieurs : aller trouver ces producteurs qui font du bon travail et faire de la pédagogie auprès de nos clients pour leur expliquer comment la viande qu’ils mangent a été produite, comment sont récoltés les légumes, la saisonnalité des produits etc. Donc finalement, l’un de nos rôles, est aussi de faire le lien entre le consommateur et le producteur.
Qu’est-ce que cela apporte d’être trois associés ?
D’être toujours dans la discussion, dans la remise en question de tous les choix qui sont faits. Pas dans la contestation mais à chaque fois, essayer de faire ressortir la meilleure des idées, de les confronter. D’un point de vue professionnel, cela ne peut qu’être intéressant car on s’apporte chacun des choses complémentaires. D’un point de vue humain, être trois permet d’aller plus loin parce qu’en cas de difficulté, on n’est pas seul, les deux autres sont toujours là pour nous soutenir, et ça tourne !
Avez-vous été accompagnés par un incubateur ou des structures spécifiques ?
Oui au tout début du projet, on a été accompagnés par un incubateur de la Région, mais on n’est pas allé au bout car le rythme ne convenait pas à notre volonté de développement, ce n’était pas assez rapide. Mais ça nous a servi à rencontrer d’autres structures qui nous ont aussi aidés par la suite, au niveau juridique par exemple. Toutes ces choses qu’on ne maîtrisait pas et sur lesquelles il ne fallait absolument pas faire d’erreurs, là on n’a pas hésité. On a aussi été soutenus par le réseau des agronomes, quels qu’ils soient – c’est un domaine extrêmement vaste et on travaille tous dans le même sens -, ce qui permet de rencontrer les bonnes personnes pour donner les bons conseils. On est en lien avec Sup-Agro, l’INRA… toutes ces structures qui permettent d’aller plus loin dans la démarche.
Être une femme : avantage ou inconvénient ?
Femme ou homme peu importe, le tout est de rester motivé.
Pour être sincère, avant de faire cet entretien, je ne m’étais pas posé la question de savoir si c’était un avantage ou un inconvénient, les choses se sont faites assez naturellement. En prenant un peu de recul sur la situation, je pense qu’être une femme – en plus assez jeune finalement -, ça peut parfois être un frein sur la crédibilité qu’on peut avoir face à différents partenaires. Donc c’est vrai que là-dessus, j’ai peut-être eu la chance qu’on soit trois, dont deux hommes. Malgré tout, avoir une femme dans une équipe, forcément, ça apporte d’autres choses, cela permet d’arrondir les angles – c’est un peu le côté maternel parfois qui ressort. Mais je pense que femme ou homme peu importe, le tout est de rester motivé quoi qu’il arrive. Quand on sait ce que l’on veut, on finit toujours par l’obtenir, avec plus ou moins de difficultés aussi selon le tempérament, mais je pense que ce n’est pas forcément un gros frein. Cela peut être une première barrière mais une fois qu’on a fait ses preuves en tant que professionnelle, il n’y a pas de raison que ce soit un frein.
Des conseils pour celles qui voudraient se lancer ?
La première chose est d’être motivée, de le faire par passion, et de savoir que lorsqu’on se lance dans un gros projet personnel, cela a des impacts et va prendre beaucoup de temps, de matière grise. Une fois qu’on est fixée, aucun frein d’après moi, c’est vraiment la passion qui guide tout. Un autre conseil serait de se faire accompagner, de ne pas rester seule dans sa bulle, que ce soit un accompagnement familial, amical ou professionnel, le tout est de ne pas rester entêtée dans ses idées mais vraiment d’ouvrir tous ses champs d’action. Parce que l’entrepreneuriat est déjà un milieu assez individualiste, c’est un projet que l’on mène seule, même si l’objectif est de l’ouvrir aux autres.
Il faut bien se faire accompagner pour ne pas rester enfermée dans ses idées.
Est-ce important d’innover ?
Aujourd’hui, on pratique l’innovation tous les jours parce qu’il faut imaginer une entreprise comme un petit écosystème : c’est vivant, ça bouge sans cesse, il faut sans cesse se réadapter. Surtout dans le monde du commerce, il faut être à l’écoute de ses clients, de ses producteurs. Du coup, il faut trouver de nouvelles solutions pour répondre de plus en plus aux attentes des uns et des autres, tout en répondant à celles de sa propre équipe… Donc forcément, on est toujours dans l’innovation. On a la chance aussi d’être une équipe très jeune – Thibaut, Damien et moi avons 27 ans -, on travaille aujourd’hui avec dix autres personnes dans notre équipe, sachant que la plus âgée a 35 ans. On est quand même une équipe très dynamique, c’est vrai que l’innovation est quelque chose que l’on pratique au quotidien. On laisse le champs libre à tous de s’exprimer – que ce soit nos clients ou nos producteurs, et les personnes de notre équipe – pour donner peut-être une super bonne idée à laquelle on n’avait pas pensé ou qu’on avait laissée de côté.
Quels sont vos prochains défis ?
On pérennise notre Locavorium, ce qui va nous permettre par la suite d’aller plus loin, de soutenir les circuits courts, mettre en avant les producteurs locaux qui font du bon travail. On veut s’investir au point de vue pédagogique auprès des consommateurs – car il y a un gros manque d’éducation basique – pour qu’ils comprennent les bénéfices à consommer de cette manière-là, l’impact sur l’environnement… Nous y sommes sensibles car nos études dans l’agronomie nous ont montré par exemple qu’acheter une tomate en hiver aura un impact sur l’environnement demain, mais tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir ces informations-là et n’a pas fait sa démarche de consommation durable et raisonnée. Voilà, ce sont des choses qu’on a vraiment envie de développer, il faut juste savoir les mettre dans un timing, un calendrier peut-être un peu plus échelonné que ce qu’on a tendance à vouloir faire.