vendredi 29 mars 2024
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Clarisse Charara, fondatrice de Kala Karité

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En créant une gamme de soins pour les chevaux de course, Clarisse Charara a lancé des ponts entre l’Afrique et l’Occitanie, et découvert une nouvelle passion.

Découvrez l’interview dans son intégralité :

Kala Karité est une SAS créée en mai 2014 dans les Pyrénées Orientales. L’entreprise propose pour l’instant « Les équidés de Kala », un début de gamme destiné aux chevaux de course et de sport, mais qui à terme concernera tous les chevaux, pour peu que les propriétaires aient envie de s’en occuper de façon saine et douce. Nos soins sont à base de beurre de karité, notre principe actif essentiel acheté à une entreprise au Bénin, qui est aussi la nôtre. Nous avons mis au point un procédé d’extraction très particulier produisant un beurre de karité extrêmement performant, avec des qualités anti-inflammatoires, cicatrisantes et anti-sceptiques que l’on ne trouve pas sur les autres beurres commercialisés dans le monde. Il est ensuite transformé à Lunel – en attendant d’avoir notre propre laboratoire – pour y additionner des huiles essentielles, des eaux florales, et en faire les différents soins que nous avons mis au point.

Quel est votre parcours ?

C’est un parcours assez éclectique dans la mesure où j’ai commencé par faire quatre ans de médecine, puis une licence de chinois et d’anglais, j’ai été navigante à Air France… Bref, tout ça c’était très bien mais ce qui m’a toujours intéressée, c’est d’être entrepreneur. Le jour où mon père m’a fait découvrir ce qu’était vraiment le karité, ça a été un vrai coup de foudre. J’ai donc eu envie de retrouver l’essence même de ce beurre de karité qu’on ne trouvait pas sur le marché. J’ai fait les études et les recherches nécessaires pour arriver à ce que nous avons actuellement.

Dans ce projet, le Bénin et l’Occitanie sont complémentaires ?

Je suis métisse Béninoise et Catalane et je tiens à ce que ce métissage se répartisse sur les deux entreprises. C’est-à-dire que les Béninoises qui travaillent avec moi – j’en emploie quatorze à l’année et soixante en période de récolte pendant l’été -, il me paraissait important qu’elles bénéficient aussi de l’essor de l’entreprise française. Donc à chaque pot de karité que je vends un Europe, un euro retourne à l’association que j’ai créée pour leur permettre d’apprendre à lire, écrire et à scolariser les enfants. Nous avons réussi à mettre en place une certification avec Ecocert, mais c’est très compliqué de mettre une telle certification avec des gens qui ne savent ni lire ni écrire. Donc il a fallu inventer des codes couleur par village, avec des ficelles, des étiquettes jaunes, rouges, vertes etc. C’était bien, on s’en est sortis, mais ce qui est important, c’est qu’elles ressortent avec quelque chose qui les fasse grandir aussi et qu’elles en voient véritablement un bienfait dans leur vie quotidienne.

Selon vous, l’égalité professionnelle est-elle une réalité ?

En Afrique, ce sont les femmes qui tiennent l’économie véritablement, mais elles ne sont pas reconnues en tant que tel, c’est un état de fait. À peine avoir accouché, elles sont dans les champs un quart d’heure après, mais c’est normal. On ne leur reconnaît pas cette capacité exceptionnelle de faire vivre toute la famille, y compris leur mari. C’est là-dessus que j’aimerais bien mettre une aide dans le développement de Kala Karité.

On demande à une femme d’être plus performante que les autres.

En France, c’est complètement différent. Mon adaptation a été assez facile du fait que je vienne d’un milieu de sportifs, où on est mixte partout et on n’est plus confiné dans un milieu hommes/femmes d’un côté. C’est la performance qui fait foi. Là-dessus, je n’ai jamais eu de problèmes de savoir si j’étais une femme ou pas, ce que je voulais c’est être performante. Il est clair qu’on demande à une femme de l’être plus que les autres, c’est sûr. Mais j’ai l’habitude d’être dans des challenges, donc ça ne me gêne pas !

Pourtant on a tendance à entendre que le monde sportif est plus masculin que féminin ?

Oui, c’est vrai. Mais il faut profiter de ce mental de sportive pour justement nous imposer. Parce que ce mental, c’est faire fi du défi, donc on se prépare et on attaque. C’est ce qui prépare le mieux pour une entreprise. On a des défis à tous les niveaux : de mener l’entreprise à son maximum de ce qu’elle peut donner, d’emmener avec nous nos salariés, nos enfants, nos maris – qui à la limite au départ n’y sont pour rien, mais ils sont obligés de s’y faire. Moi par exemple, je donne rendez-vous à mes enfants quand ils doivent me parler, il n’est pas question qu’ils interrompent à tout moment dans mon entreprise !

Des conseils pour celles qui voudraient se lancer ?

La première des choses c’est vraiment d’y croire et de sentir que sans cela, la vie n’a pas de sel. Je vous donne un exemple : un jour, j’ai travaillé justement avec une coach qui m’a dit « tu t’es donnée comme limite pour réussir la fin de l’année. Mettons que le scénario ne marche pas, qu’est-ce qui se passe ? ». Dans la seconde, j’ai fondu en larmes parce que pour moi, c’était juste pas possible. Et si on n’a pas cette vision-là – obligatoire, c’est quasiment une ordonnance médicale ! -, c’est pas la peine d’y aller. Si c’est présent, il faut ensuite savoir s’écouter – pas être buttée – de façon à écouter la petite intuition féminine qui est toujours là et ne se trompe pas, jamais. Il faut l’écouter impérativement. Ensuite, ne pas vouloir réussir toute seule parce qu’on n’y arrive pas, il faut s’entourer. On a des tas de systèmes autour de nous – des Chambres de Commerce, des pépinières… – on ne sait pas tout. Même si à la base on a des sous à mettre pour démarrer dans notre entreprise, ça ne suffit pas, on va faire du gâchis bêtement alors que tous ces systèmes-là sont faits pour nous accompagner et il faut vraiment en user, voire en abuser, parce qu’ils sont là pour ça. Donc il faut vraiment s’entourer.

Alors justement, avez-vous été accompagnée par des organismes ?

En quittant Air France, je suis entrée en stage quatre mois à la Chambre de Commerce, ce qui était très intéressant parce que j’ai compris que mon projet n’était encore qu’à l’état embryonnaire. Ça s’est fait pendant les moments où j’ai pleuré, jeté mes cahiers… c’était l’enfer parce que je me rendais compte que je n’étais pas encore centrée sur ce qu’il fallait que je développe. Petit à petit, je suis rentrée dans Plein Sud Entreprises, la pépinière de Perpignan Méditerranée Métropole dédiée à l’innovation, où l’on m’a appris à monter graduellement les échelons et ne pas vouloir grandir trop vite.

Je suis devant une porte, j’ai un panier de clés dans la main et il y a forcément la clé dedans, donc je dois la trouver.

Quels blocages avez-vous surmontés ?

J’avais une personnalité qui, en général, déterminait un plan à suivre à la lettre. Et si jamais ce n’était pas possible, c’était foutu. J’ai donc appris à développer des qualités d’agilité et de souplesse. Ce qui n’était pas du tout mon ADN, mais pas du tout. Mais comme c’était ma passion et que je voulais absolument réussir cette entreprise… C’est comme avec un bébé, vous ne savez pas ce que c’est d’être un parent d’abord, mais s’il pleure, on vous dit toujours : « t’es la mère, tu sais ce qu’il a. Ben non, je ne sais pas. Mais je vais chercher et je vais trouver ». Et c’est ce que j’ai fait pour l’entreprise, à chaque fois que je ne comprenais pas, même si ça me coûtait beaucoup de souplesse que je n’avais pas, j’ai dû la développer. Maintenant, je fonctionne avec des images où je me dis : je suis devant une porte, j’ai un panier de clés dans la main et il y a forcément la clé dedans, donc je dois la trouver. C’est ma façon de me calmer par rapport à l’enjeu et de me dire : « calme-toi, cherche la clé, elle est là ». En général j’y arrive, ça se passe bien. Mais parfois, ce n’est pas forcément cette porte-là qu’il faut ouvrir, alors il faut accepter de faire un petit détour pour revenir sur le chemin, et ça aussi c’est important.

Personne ne vous reprochera d’être passée par des chemins de traverse pour revenir après à l’axe central. Le but c’est d’y arriver !

Quels sont vos prochains défis ?

Trouver un investisseur ! Nous avons besoin de faire une petite levée de fonds pour nous permettre de faire des effets leviers. Cela fait partie de la mécanique d’une entreprise : augmenter ses fonds propres pour se faire aider par des concours bancaires ou BPI France, tout un tissu qui est fait pour aider les entreprises innovantes. C’est le prochain défi de taille que je dois relever dans les semaines qui arrivent.

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