dimanche 28 avril 2024
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Parcourir le monde en famille ou devenir digital nomade : ils ont fait le pari de changer de vie

Tout plaquer. Partir en van, en sac à dos, en bateau, faire un tour du monde, de l’humanitaire… Les façons de changer de vie ne manquent pas, les motifs pour se décourager non plus. Qu’est-ce qu’on ferait de son appartement ? De son patron ? Et les enfants ? On irait où ? De toute façon, on est nul en anglais. Et puis, on ne quitte pas un job. Ça fait peur. On se dit que ça serait trop compliqué, trop dangereux, trop dur, trop cher. Ces faux-fuyants qui bloquent le plan sur la comète, Clémence, Sandrine, Jérémy et leur famille les ont dépassés. À plus ou moins long terme, ils ont vraiment réfléchi à vivre une autre vie. Mieux, ils en ont fait le pari.

Exit le schéma de vie classique

« Ailleurs ». C’est là que Clémence veut faire sa vie. À 33 ans, elle avait tout à Montpellier : un super job dans une agence d’architecture, un appart de rêve partagé avec son compagnon Thomas, et Nel leur chat. C’est bien ça qui n’allait plus. « Nos perspectives d’avenir professionnel n’étaient pas souriantes, commence-t-elle. Et nous ne concevions pas nos carrières comme des fins, plutôt comme des moyens de nous offrir de quoi nous évader ». C’est leur voyage au Canada, à l’automne 2016, qui les débarrasse des derniers doute. « On avait loué un grand break et installé un matelas à l’arrière pour traverser les Rocheuses, se souvient Clémence. Ça a été le coup de foudre pour cette façon de voyager ». Il n’en fallait pas plus pour que le couple se décide à changer de vie et prenne la route bien loin d’un schéma traditionnel « qui ne nous convenait plus ».

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Clémence et Nel / Danemark 2018 © Thomas Corbet

« Nous ne concevions pas nos carrières comme des fins, plutôt comme des moyens de nous offrir de quoi nous évader. » Clémence

Une « monotonie », un « train-train », desquels Jérémy et sa famille ont eux aussi voulu s’éloigner. Lui est journaliste, il a aujourd’hui 37 ans et sa compagne Émilie, même âge, est institutrice. Ensemble, ils ont eu Anton et Maël. Deux pitchouns qui, en 2015 lorsque papa et maman décident de changer de vie, ont « respectivement 6 et 2 ans et demi ». « On voulait prendre le temps de les voir grandir, retrace Jérémy. Trouver un tempo en accord avec le leur. » Leur rêve de road-trip, les tourtereaux le nourrissent depuis le lycée, moment de leur rencontre. « Fascinés » par le continent américain, ce Nouveau Monde. Émilie et Jérémy y pensent, économisent pendant une année (en prévoyant toutes leurs dépenses à l’avance, même s’ils n’avaient pas vraiment prévu les variations du cours du dollar). Le rêve prend alors des airs de réalité. En janvier 2015, après des mois d’organisation, c’est le départ. À quatre, pour six mois, direction les USA et le Canada.

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Émilie, Anton et Maël © Jérémy Beaubet

Un truc de jeunes fougueux ? Posez la question à Sandrine, 48 ans, qui s’apprête elle aussi à changer de vie. « On avait fait un premier voyage en bateau en famille en 2013, durant 4 mois jusqu’aux Antilles, introduit la mère de famille. Ça a été un élément déclencheur, je suis revenue avec l’envie de repartir.» Comme une « petite musique», qui s’était logée dans sa tête… Alors, elle a fini par se positionner. Et a décidé de changer de vie à la rentrée. De leur vie actuelle, Sandrine, son mari Jean-Luc, 52 ans, et leur fils Gabriel, 6 ans, ne gardent que leur voilier… Sa jolie maison et son CDI de directrice adjointe aux relations presse à la Ville de Montpellier, Sandrine les laisse derrière elle – elle a pris une disponibilité de 20 mois et loué la maison – pour « une vie où l’on va à l’essentiel, où l’on a du temps pour soi et pour se reconnecter les uns aux autres ». Le tout à bord de leur bateau. « On part pour une vie de partage, de rencontres. C’était installé en moi comme un rêve. Avec Jean-Luc, on entame le dernier quart de notre vie. Je ne voulais pas me retourner sur ma vie et avoir des regrets. Là, je me sens vivante. »

Changer de vie, comment fait-on ?

Jérémy et Émilie ont commencé par leurs jobs. Comme leur fils aîné Anton avait moins de 3 ans, il a pu « prendre un congé parental de six mois ». Émilie a choisi de « prendre un mi-temps annualisé ». Libérés du boulot, ils ont rendu les clés de leur appart. Ils ont acheté à distance et récupéré sur place le van qui allait leur servir de maison durant six mois, « dans un storage de Fort Lauderdale, en Floride » explique Jérémy. Concernant les enfants, « il a fallu les déscolariser et préparer, pour le plus grand, des cours adaptés à son niveau ». D’autant qu’il est parti en pleine année de CP. Maël a suivi, cinq matins par semaine, les cours préparés par maman. « Il lui est arrivé de réviser ses cours dans les paysages désertiques du Grand Ouest, des forêts de Redwoods ou encore au milieu des cactus », sourit le papa.

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Clémence et Thomas – Roammates / Danemark 2018 © Clémence Polge

« Le plus dur, c’est de prendre la décision de quitter job et appartement, livre Clémence. Une fois que c’est fait, on se sent déjà plus fort, confiant et plus léger. » C’est la rupture conventionnelle de son contrat qui lui a rendu sa liberté. Quant à Thomas, journaliste sportif, il a stoppé son activité de free-lance. Leur appartement ? Ils l’ont quitté. Rendu. Et stocké leurs affaires – celles qu’ils n’ont pas vendues – chez papa et maman.

Le duo Roammates s’est ensuite consacré à l’organisation de son périple à bord du « Lieutenant », le van VW LT40 qu’ils ont entièrement réaménagé. Une maison sur roues de 7m² dont les amoureux ont de quoi être fiers. Financièrement, ils se sont servis de leurs économies pour les travaux, qu’ils ont réalisés chez les parents de Thomas. « Assistés par mon père lorsque nous n’avions pas les connaissances », sourit le jeune homme. Du hand made, aidés aussi par les copains, jusqu’au moment de prendre la route. À travers l’Europe dans un premier temps… En vrai digital nomade, le couple qui alimente le blog A Kutch Life et une page Facebook, compte sur des missions à distance pour se faire quelques sous. De rédacteur web/designer pour Clémence, et de traducteur français-anglais pour Thomas. « En Norvège, on voudrait faire du Woofing : travailler dans de petites fermes spécialisées dans l’agriculture biologique. » Un bon moyen d’être logé et nourri, « et qui permet d’échanger avec les habitants, pour mieux découvrir le pays ».

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Clémence, un matin en Belgique © Thomas Corbet

Clémence et Thomas se sont fixé de dépenser au maximum 35 € par jour, même si ce n’est « pas toujours évident ». Il faut penser aux forfaits téléphoniques, à l’assurance, au carburant… Et pour changer de vie, l’argent n’est pas la seule contrainte : hors de question pour Clémence de quitter la France sans Nel, son chat. « Il a fallu faire des démarches administratives, elle a d’ailleurs son propre passeport qui atteste de ses vaccins », ironise Thomas. Nel s’est bien acclimatée à sa nouvelle vie de chat de van : « elle a bien compris que le Lieutenant était sa solution de repli quand elle a peur, plaisante son propriétaire. Ce qui arrive souvent, vu qu’elle n’est pas très courageuse ! ».

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L’équipage du Luna Blu, composé de Sandrine, Jean-Luc et Gabriel ©DR

Pas question de van chez Sandrine. En septembre, on prend la mer. La famille largue les amarres direction Ushuaïa. « Avec l’objectif environnemental de nous informer sur l’état de la planète, et sur les solutions que trouvent ses habitants », explique-t-elle. Pour cela, ils ont créé l’association Planète en commun, une façon de partager avec la sphère scientifique et virtuelle leurs aventures écologiques, indépendamment de leur voyage familial. Gabriel, Jean-Luc et Sandrine embarqueront à bord du Luna Blu, le voilier de la société de monsieur, qui lui sert habituellement à former ses stagiaires à la navigation. Il est même possible d’embarquer avec eux pour une partie du périple, ce sur quoi compte un peu la famille pour ne pas totalement écouler ses économies. À bord, la maman prévoit « un style de vie minimaliste », avec 1 500 € par mois (nourriture, vêtements, quelques restos, frais à tenir en France comme la mutuelle, les impôts qui continuent de tomber…).

Au-delà des peurs

« Partir avec un enfant peut être un frein pour changer de vie, admet Sandrine. Pour nous, ça ne l’est pas. Mais c’est possible qu’avec 2 ans de plus, le départ eut été plus compliqué. » Gabriel fera sa rentrée en CP comme ses petits camarades à l’école de Bouzigues (Hérault), avant le grand départ. « On a fait une déclaration d’instruction en famille et une inscription au CNED (Centre National d’Enseignement à Distance, ndlr), reprend-elle. Nous lui donnerons environ deux heures de cours par jour sur le bateau. » Le tout jeune globe-trotteur sera aussi scolarisé quelques jours au Sénégal lors d’une escale, même si, pendant un voyage comme celui-ci, c’est de toutes les situations que l’on apprend. La maman charge à bord aussi beaucoup de supports d’activités et de jeux pour occuper Gabriel sur le bateau.

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© Sandrine Locci

Les amoureux nourrissaient quelques craintes avant de sauter le pas. Avant de changer de vie, Thomas s’inquiétait plutôt de « l’abandon du confort et des commodités auxquels on a accès naturellement dans une vie classique ». La douche, plus précisément. Pour Clémence, c’était plutôt l’aspect sécuritaire : « Quand on voyage avec sa vie et un petit chat mignon dans un camion, difficile de ne pas appréhender de le garer et de tout laisser dedans pendant les balades/visites. Le risque de se le faire forcer, de se faire dérober ses essentiels. Mais aucune de ces raisons n’étaient plus fortes que l’envie de vivre différemment » affirme, sereine, la globe-trotteuse.

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© Jérémy Beaubet

D’autant plus inquiétant lorsqu’on part avec les enfants. « J’avais une appréhension concernant l’éventuelle insécurité que l’on pouvait rencontrer aux USA », admet Jérémy. Vite « disparue », une fois sur place. « Nous avons pu bivouaquer partout », des lacs isolés aux parkings des grandes villes. Et même hébergés, parfois, par des habitants. Côté mécanique aussi, le journaliste avait conscience de ne pas être dans son élément. Mais en gérant « les problématiques une par une », et en comptant « sur la bienveillance des garagistes américains », ça l’a fait et sans trop de soucis. Et puis, il a aussi fallu conjuguer avec les peurs de l’entourage. Surtout du côté de Jérémy, où on est plutôt « casanier ». « Ils se demandaient pourquoi si loin, pourquoi les USA, pourquoi si longtemps… » Il a fallu « rassurer, sans non plus convaincre » une famille qui, au final, s’est fait une joie de suivre les aventures du « Gang de la clé à molette ».

« Plus les gens sont proches, plus c’est dur, ils ont peur que l’on fasse le mauvais choix. » Sandrine

Sandrine ne dira pas le contraire. Partir, changer de vie, ça peut faire peur. Elle l’a beaucoup senti dans son entourage, à l’annonce du départ. « Plus les gens sont proches, plus c’est dur, constate-t-elle. Ils ont peur que l’on fasse le mauvais choix, leur regard est empreint d’inquiétude.» Anxieux de voir partir leur enfant, leur belle-fille ou leur amie embarquer à bord du Luna Blu pour un périple marin de 16 mois, 8 400 miles, 20 escales et 84 jours en mer. « Je pense que par pudeur, ils n’osent pas dire qu’ils préféreraient juste que l’on reste.» De son côté, les craintes sont plutôt d’ordre médical : peur que Gabriel puisse tomber malade.

Et après ?

« La perspective que tout est possible dès lors que l’on s’en donne les moyens. » Jérémy

Le retour ? Passé « comme une lettre à la poste » pour les enfants, assure Jérémy « aucun mal à partir, ni à revenir ». On est rentrés au début de l’été (en 2015) « ce qui aide », reconnaît le père de famille. Il leur a fallu deux mois pour retrouver un logement, juste avant la rentrée des classes. Le coup de blues est arrivé « quelques mois plus tard », lorsqu’ils repensaient « à cette virée à l’autre bout du monde » de laquelle ils ne gardent que du positif. « La perspective que tout est possible dès lors que l’on s’en donne les moyens. » Et pour les pitchouns, « un goût pour l’aventure même s’ils ne se souviendront pas de tout ».

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Duel à Tombstone (Arizona) © Jérémy Beaubet

C’est une appréhension pour Sandrine. Au retour de leur premier périple de 4 mois, elle avait déchanté. Tellement contente du voyage, elle n’a pas vu venir la claque du retour. « C’est violent, prévient-elle. Pendant le voyage on est tellement déconnectés, dans son monde… Il faut vraiment se préparer. » Retour à l’exigence de la vie en France, à la vie sociale, au travail… Mais avant de penser à tout ça, ils ont 16 mois de traversée à savourer.

Du côté de Clémence, Thomas et Nel, le retour a été précipité. Les amoureux ont gagné, début juin, le concours Drive your adventure, organisé par We-Van et Mercedes. Il met en lumière pendant plusieurs mois l’aventure en van d’un binôme, à travers la tenue du blog DYA et la rédaction d’un guide de voyage en van. Clémence et Thomas sont donc revenus à Paris préparer leur nouveau départ tous frais payés pour la Norvège – prévu mi-juillet – où ils repartent pour deux mois en Campervan vers le Cap nord. De quoi leur faire oublier ce (court) retour prématuré dans l’Hexagone.

Comme quoi, changer de vie peut réserver de belles surprises…

Où trouver des infos pratiques ?

Jérémy conseille Voyage forum. Il y a trouvé, malgré quelques internautes un peu moralisateurs, des réponses sur les questions administratives et mécaniques. Lost in the USA leur a servi aussi.

Clémence et Thomas, eux, ont plutôt privilégié Instagram. Voici une liste des meilleurs comptes de vanlife à suivre absolument avant de se lancer dans l’aventure.

Vous avez aussi parcouru le monde pour changer de vie ? N’hésitez pas à partager votre expérience ou vos conseils en commentaire.

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