vendredi 19 avril 2024
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SM : de plein fouet

Une des dernières scènes sur grand écran, issue du mommy porn « 50 nuances de Grey », montre l’ingénue Anastasia pleurant sous les coups. Aïe. Mais au final, le film (panpan) cucul ne nous apprend pas grand chose sur le SM. Paulette est partie à l’assaut de cette pratique fantasmagorique, méconnue et incomprise.

On ne connaît souvent du SM que les écrits de Sade et Sacher-Masoch. Nous avons tous nos fantasmes inavouables. Oui, sauf que souffrir pour jouir, il y a un pas. Une botte en cuir de sept lieues même. Alors pour percer les secrets SM, me voilà en mode sadomination. Avant de me mettre en scène pour savoir ô combien ça peut faire mal ou pas, je m’éreinte à comprendre…

Scénarios

Désolée de vous décevoir, mais le film fait bien rire les pratiquants. Côté BDSM, la référence préférée est « Histoire d’O ». « Il existe régulièrement des soirées pour recréer son ambiance » confie Michelle, tenancière d’un club SM. « On crée des scénarios délirants, c’est libérateur » selon Jean-Marie, un soumis. Il précise : « certains font du saut à l’élastique pour se sentir vivants, moi je préfère les coups de fouets. Je recherche des émotions fortes ou inhabituelles, c’est excitant ». Sa compagne de jeu insiste : « ce que vous ne voyez pas, ce sont les soirées complices, à monter les prochains scénarios ».

Le jeu de la vie

Claudia et Philippe sont joueurs à temps plein. « Si je ne fais pas certaines choses qu’il m’intime dans la vraie vie, je serai punie à travers nos jeux. Le pire étant de rester à quatre pattes seule toute la soirée ».
La pression psychologique n’est-elle pas trop difficile à supporter ? L’intéressée réfute « non, c’est notre contrat ». Mais en majorité, le SM s’arrête aux pratiques dans un club. Et encore, ce n’est pas sans cesse lié au sexe. Denis, propriétaire d’un club, voyant un homme, pantalon baissé sur les chevilles, prenant sa compagne attachée, marmonne : « Il y a des coins câlins pour ça ».

Denis fait le physionomiste, fouet à la main. Je n’aimerais pas qu’il atteigne ma peau. Vu la longueur, ça me rappelle un film sur l’esclavage. Ça laisse des traces. « Lorsque vous tirez les cheveux de votre partenaire, lors d’un acte sexuel banal, ou lui donnez une fessée, c’est déjà du SM » souffle Denis. Ah, mais dire qu’on a tous un penchant… loin de là ! Les adeptes du SM ne réunissent que 2% de la population.

Dans les règles de l’art

« La pratique est l’expression d’une relation contractuelle entre deux êtres libres. Ils fixent les limites de ce qu’il est licite de faire et de ne pas faire » précise Jean-Marie. Respectueux mais codifié.

Stoller a sa propre interprétation liée à la douleur. Selon lui, c’est bien la capacité à contrôler efficacement la douleur qui serait à la source du plaisir masochiste. « Oui, c’est la maîtrise de soi dans n’importe quel rôle ». Selon le psychiatre, « les personnes auraient vécu des douleurs physiques intenses au cours de leur petite enfance et appris à les contrôler ». Un argument que Patrick réfute « je suis adepte et je ne me sens pas tourmenté et névrosé. Mon enfance a été heureuse ». Jacky rétorque : « il ne faut pas croire que nous sommes fous. C’est un orgasme cérébral ».

Pour Georg Wilhelm Friedrich Hegel, philosophe, « sadisme ou masochisme ne seraient que des formes extrêmes et sexualisées des relations sociales ». Philippe donne ses motivations : « j’ai besoin de contrôler, c’est un exutoire ». Selon Michelle, « il s’agit aussi d’explorer mes limites ». Lorsqu’elle voit des vingtenaires arriver au club, ça la met mal à l’aise. « Si déjà ils pratiquent, que vont-ils découvrir plus tard ? ».

Inventaire SM

Les rituels d’humiliation et domination se font dans un donjon : flagellations à l’aide de cravaches, fouets ou autres martinets, insertion d’objets. Le tout accompagné de liens et suspensions, qui ont pour but de contraindre et d’immobiliser. Mais il existe une forme plus extrême : modifications corporelles telles que piercing, scarifications, tatouage. Bâillon, camisole, collier, paddle, pince, corde pour le shibari, menotte, mallette électrique… les joujoux se comptent par centaines. Et les jeux presque sans limites. Une nuit ne suffirait pas pour tout essayer.

Les pratiques me semblent tortueuses. « Tout est une question de perception » lance un des participants. Je décide toutefois d’être initiée en tant que soumise. Le terme me glace vraiment, mais je me trouverais ridicule à vouloir asservir quelqu’un.

Tenue incorrecte exigée

Le SM renferme une dimension spectaculaire. Cela nécessite un costume approprié qui fixe avec précision le statut et le rôle de chacun des protagonistes. Un anneau pour les soumis, des picots pour les dominants. Il faut choisir son camp. Dress code noir obligatoire. Je déniche ma tenue sur la toile. Une robe lacée de haut en bas, devant et derrière. Bien sûr, cela dévoile une partie de mon intimité, mais tout en nuances. À moins d’avoir le nez dessus, rien ne laisse présager que je suis une sans culotte.

Donjon

SM - Cache cache
© LaLu

Je pénètre dans l’antre. Lumière tamisée et mon porte-monnaie qui se déleste de 58 euros : buffet et conso inclus. Je fais le tour du propriétaire. Le maître des lieux, ancien ferronnier, a fabriqué l’ensemble des installations. Des chaînes en forme d’araignée, une cage, un cheval d’arçons avec un gode au milieu, et une toute nouvelle pièce à l’ambiance plus moderne avec des panneaux “High Voltage”. Les croix de Saint-André sont légion. Mylène Farmer gémit ses paroles. Moyenne d’âge : la cinquantaine. Ambiance tranquille. On est loin des soirées bondées du samedi.

Un cercueil fait office de table. Je me glisse dedans. Une trappe permet de recevoir la béquée. Sur les tables voisines, une guillotine reçoit la tête d’une soumise, âgée de la quarantaine. Face au bar, un homme de 60 ans environ dîne. À ses pieds, une femme en laisse.

Un couple vient pour la première fois ici, la trentaine bien avancée. L’homme interroge la maîtresse des lieux. « Comment frapper ? ». Tout s’apprend. Il y a divers degrés et il faut bien doser. « La peau se durcit » affirme Jacky.

Soumission

J’ai peur d’avoir mal. Jacky m’attache et me colle un bandeau sur les yeux. Très déroutant. Elle regrette ma robe trop longue (moi pas) et commence par me donner la fessée. Puis elle passe quelque chose de froid sur mon visage et mes épaules et commence à frapper mon corps, avec un fouet en latex. Elle utilise une roue neurologique. Je frissonne. Cet instrument est agréable et érotique. Elle bouge les chaînes et poursuit ses coups. Elle me griffe et me caresse et vient titiller mes seins. Il y a une sorte de violence mais aussi de douceur. Terrible mélange car les yeux bandés je ne sais à quel sein me vouer.

Suspension

Jacky m’installe sur la roue. Liens aux poignets, taille et chevilles. Je tourne. La tête en bas, j’ai l’impression que mes yeux sortent de leurs orbites. Mon supplice ne dure que quelques instants. « Pitié maîtresse ». Avec mes bottes de 12 en cuir, je tente la suspension par les poignets. Je ne résiste pas. Mes bras pourraient se décrocher, je crois bien. Ma séance se termine. Des hommes sont agglutinés dans la pièce voisine pour mater. J’évite la table gynéco ; une fois par an, ça suffit déjà. Et comme je ne suis pas contorsionniste je ne rentre pas dans la cage. D’ailleurs, je n’arrive pas à rentrer dans le rôle. Je suis un imposteur parmi ces gens avides de sensations fortes.

La soirée prend fin. Michel m’intime de ne surtout pas être sage. Je vais y penser. Mais dans la douceur.

La loi domine

Le SM s’illustre par des pratiques extrêmes telles que les maltraitances physiques et morales. Néanmoins, c’est parce qu’elles touchent aux libertés individuelles et qu’elles impliquent la notion de consentement, que ces pratiques mettent à rude épreuve la justice.

La Cour européenne des Droits de l’Homme a pris le sujet à bras-le-corps. Sauf que le jeu est un dédale de principes de droits : à la vie privée, d’autonomie personnelle, de disposer de son corps, d’entretenir des relations sexuelles, touchant ainsi au cœur du droit des libertés publiques. À chaque fois, il faut définir les limites de la volonté individuelle. Difficile de trancher alors entre la conception libérale et celle prônant le respect de la dignité de la personne humaine, y compris contre la volonté de la personne.

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