mardi 16 avril 2024
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Le féminisme à travers les générations

Que recevons-nous en héritage ?

L’histoire du féminisme compte de grandes luttes. Sans remonter jusqu’aux suffragettes, n’oublions pas une des plus grandes avancées gagnée de haute lutte : le droit à l’IVG et à la contraception. Que reste-t-il de ce mouvement dans notre quotidien ? La transmission fonctionne-t-elle de mères en filles ? Des femmes témoignent.

Les dossiers sur le droit des femmes ne manquent jamais de faire discussion au sein de la rédaction de Grizette. Au gré de nos réunions, je réalise que je suis prompte à interroger les mouvements féministes, les sociologues, les chercheuses, les représentants de l’État, mais en oublierais-je les femmes du quotidien comme vous et moi ? Car, au final, c’est dans les foyers, dans les familles que les réformes et le changement doivent être mis en place. J’ai donc pris le parti d’interroger de jeunes étudiantes et de jeunes femmes en tentant d’avoir le point de vue de leur mère, voire de leur grand-mère sur leur définition du féminisme, leur ressenti par rapport à ce mouvement de l’histoire. Le féminisme conserve-t-il le même sens à travers le temps ? Comment cette définition se construit-elle ?

Le féminisme est une lutte pour obtenir une condition égale à celle des hommes tant sur le plan personnel que professionnel.

Tout d’abord, les termes guerriers reviennent souvent, quel que soit l’âge, pour définir la notion de féminisme. Ainsi Sacha* (55 ans) ou Josepha (23 ans) utilisent le terme de « combat » « …perpétuel pour essayer de faire en sorte que les femmes ne soient pas un sous-produit de l’homme. » Charlotte L. (17 ans), comme Marion (18 ans), considère que c’est une lutte pour obtenir une condition égale à celle des hommes tant sur le plan personnel que professionnel. La maman de Josepha (50 ans) l’envisage comme une liberté tant au point de vue professionnel que financier, esthétique ou moral, exercée sans jugement. Pour Charlotte (27 ans), fille de Sacha, cela signifie « être heureuse d’être une femme. Vouloir l’égalité en acceptant nos différences. »

À 17 ans, lorsque j’ai demandé la pilule à ma mère j’ai reçu une paire de claques. (…)
Je ne comprenais pas pourquoi mon frère et moi n’avions pas les mêmes droits.

Elles ont en commun de ne pas considérer que la partie est gagnée et que tout est acquis. Leur vécu inspire leur parole. Les mères témoignent de pères d’un autre âge : « J’ai reçu une éducation rétrograde où l’homme était roi à la maison. On les servait et puis les femmes ne buvaient pas, ne fumaient pas, ne sortaient pas ! À 17 ans, lorsque j’ai demandé la pilule à ma mère j’ai reçu une paire de claques. J’ai dû me rendre toute seule au planning familial. Je ne comprenais pas pourquoi mon frère et moi n’avions pas les mêmes droits. J’étais révoltée », assure la maman de Josepha. Chrystelle (55 ans), de la même génération et maman d’Elsa (21 ans), exprime cette même incompréhension face à la différence d’éducation entre son frère et elle. « Je l’ai ressenti comme un abus de pouvoir de l’homme de la maison. Je n’appréciais pas non plus son attitude envers ma mère. Je me suis forgée une image négative de l’homme et du coup j’ai toujours été sur la défensive par la suite dans ma vie. » Sacha s’est construite avec l’image d’une mère au foyer qui lui répétait qu’il fallait que les femmes soit autonomes. Qu’elles aient un métier pour s’assumer.

L’indépendance économique, une clef de voûte

Le sujet de l’indépendance économique revient beaucoup. Sacha, Chrystelle ont toujours travaillé. Mères et filles reconnaissent n’avoir jamais abordé clairement le sujet du féminisme en tant que tel, mais ces mères espèrent que leur attitude a servi d’exemples. Les mères qui ont accepté de me répondre se sentent des féministes du quotidien même si leur progéniture ne les perçoit pas forcément de cette façon. Ainsi Charlotte, la fille de Sacha s’affirme plus féministe que sa mère : « C’est moi qui réclamais que mon père ou mon frère participent à des tâches. Je voyais bien que je faisais des choses que mon père et mon frère ne faisaient pas. Dans mon couple, je suis intransigeante sur le partage des tâches ménagères. » En revanche, Charlotte ne se positionne pas du tout de la même manière concernant les enfants. « Il donne le bain, il change les couches, je râle s’il ne se lève pas la nuit mais s’il se lève, je me lève quand même. Lorsque notre fils était bébé, j’avais besoin d’anticiper et cela ne me posait pas problème, mais à présent qu’il est plus grand, son papa prend le relais sur plein de choses. »

La preuve par l’exemple

La maman de Josepha est convaincue que son positionnement lors de son divorce a éclairé ses filles comme son fils. « Je me suis arrêtée de travailler lorsque mes enfants étaient tout petits et je revendique ce choix. Mais lorsque nous nous sommes séparés avec mon mari, j’ai refusé de rester par confort financier. Je suis partie sans un meuble et j’ai renoncé à ma part de la maison d’enfance de mes enfants afin qu’ils puissent en hériter. J’ai mis un point d’honneur à me débrouiller et à assumer 50 % des frais de leur éducation, alors que vu les revenus très élevés de leur père, j’aurais pu demander une pension conséquente. J’ai expliqué clairement à mes deux filles et à mon fils que ce n’était pas parce que leur père gagnait plus qu’il devait assumer plus. Elle est là ma vision de l’égalité entre les hommes et les femmes. »

Pour les garçons, le féminisme se réduit à “elles veulent tuer les hommes” !

Josepha, sa fille, a réfléchi sur le tard à la notion de féminisme, avec la lecture des articles du site madmoiZelle mais aussi en écho à son vécu : « J’ai été formée très tôt ; du coup au collège, tout le monde ne parlait que de mes seins. C’était pesant que l’on me réduise juste à cela. Et même aujourd’hui, alors que je suis étudiante, les garçons conservent leurs idées toutes faites ; si on est en jupe, cela signifie que l’on va draguer ! J’ai les cheveux courts alors ils me disent « tu veux jouer les femmes fortes ! Le féminisme pour eux se réduit à “elles veulent tuer les hommes” ! Et ce qui me rend folle par-dessus tout, c’est d’entendre des réflexions du style « elle s’est fait violer mais elle l’a cherché. » Charlotte L. revient, elle aussi, sur la culture du viol, sur l’attitude choquante des jeunes lycéens avec qui elles avaient fêté le bac avec une amie. « Au collège et au lycée, les réflexions étaient permanentes, toujours envoyées sur le ton de la plaisanterie mais les remarques étaient déplacées. »

Les commentaires, le regard que portent les garçons sur la place des femmes reviennent de façon récurrente dans l’analyse de ces jeunes adultes. Elsa, la fille de Chrystelle le souligne : « Dans mon entourage proche, 60 % des garçons tiennent des discours du style : lorsque je serai père de famille ce sera à moi de ramener l’argent nécessaire. Ils ont entre 20 et 25 ans et ont grandi avec des mères actives. Mais leur mère, arrivée à la maison, prépare les repas et gère l’intendance. Ma mère n’est pas engagée dans le féminisme mais dans mon éducation je n’ai pas connu ce schéma. Mes parents travaillaient autant l’un que l’autre. Ils partageaient notre éducation. Mon père cuisine et même parfois on préfère que ce soit lui qui soit aux fourneaux ! Je ne me projette pas un seul instant en femme au foyer avec un enfant. Je respecte celles qui font ce choix mais il ne me correspond pas. »

Et ce n’est pas Jeannette (78 ans), mère de Sacha et grand-mère de Charlotte qui prétendra le contraire. Femme au foyer comme la majorité des femmes de son époque, une vie bien à elle lui a manqué.

Mais que fait l’école ?

Elsa est la seule à parler de l’influence de ses professeurs : « Petite, je ne me posais pas la question de l’égalité. Il y a juste un moment où je n’ai plus voulu qu’on me tresse les cheveux et où je me suis rendu compte que je préférais porter des jeans et des baskets. C’est à 14/15 ans que j’ai réfléchi. Mes professeurs m’ont présenté le film “We Want Sex Equality”, cela m’a ouvert l’horizon. Je me suis posée des questions. » Pour Marion, c’est le film “Mustang” ou le discours d’Emma Watson à l’ONU qui l’ont interpellée et pour elle, la discussion avec ses parents reste houleuse.

On parle toujours des grands hommes, jamais des grandes femmes.

Audrey (23 ans) ne partage pas ce point de vue : « Ce n’est sûrement pas à l’école qu’on m’a parlé d’Olympe de Gouges ! Cela a été difficile pour moi de trouver la figure de la femme forte ! On parle toujours des grands hommes, jamais des grandes femmes. Dès l’enfance, je me suis posée beaucoup de questions, notamment sur le genre. Et je ne pouvais pas en parler avec mes parents. Fille unique, j’ai toujours pensé que mon père souhaitait avoir un fils. Il ne m’a pas permis de faire de la boxe car c’était un sport de garçon. Ma mère m’obligeait à porter des robes. Elle est la personne la plus sexiste et machiste que je connaisse ! Ma tante dont je suis très proche m’a aidée. Elle s’implique beaucoup dans les luttes égalitaires, dont le féminisme. Elle a incarné la figure de la femme forte pour moi. Sa façon de vivre me correspond mieux. » Après ses études, Audrey envisage de voyager en wwoofing pour développer sa débrouillardise car sa conception du féminisme n’est pas à sens unique.
Charlotte L. perçoit avec le recul que le positionnement de sa mère médecin l’a tout de même influencée. D’ailleurs, elle considère que les garçons qui se comportent mal avec les filles ont un problème d’éducation.

À l’issue de nos entretiens, la plupart des jeunes filles expliquent considérer que leur réflexion chemine, qu’elles se posent beaucoup de questions. Certaines ont envie de s’impliquer plus. Audrey, que ses ambitions égalitaires poussent à se dépasser, redoute les clichés et l’image véhiculés par les médias sur le féminisme, mais assume d’en devenir un si nécessaire pour mettre en avant une vision de la société plus égalitaire au profit des deux sexes.

*Le prénom des témoins a été modifié

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