mercredi 24 avril 2024
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Gloria Rodenas, primée dans les festivals pour son premier long métrage

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D’origine parisienne, Gloria Rodenas est arrivée à Montpellier à l’âge de sept ans. Enfant, elle emprunte le caméscope de son père pour réaliser des parodies. Mais son goût pour le septième art n’influence pas ses études : ses parents veulent la voir suivre un parcours scolaire classique. Une fois son bac scientifique en poche, Gloria entre dans une école spécialisée dans l’image et le son. Elle y réalise un documentaire et plusieurs courts métrages, dont « Vivre » en 2014 et « The Game » en 2015. En deuxième année, elle passe son diplôme et se lance dans un nouveau projet, baptisé « Du satin blanc ».
Il voit le jour en 2016, au terme d’une véritable aventure humaine. Réalisé grâce à une campagne de financement participatif qui a permis de récolter plus de 8 500 euros en 45 jours, le film est tourné avec une équipe de 350 bénévoles. La version définitive est finalisée en 2017 avec sa sortie en DVD.

Actuellement en pleine promotion, la jeune réalisatrice est venue nous voir à la rédaction de Grizette, avant de prendre le train pour quelques rendez-vous parisiens. De l’enthousiasme plein les bagages, Gloria Rodenas se livre sur son expérience et sa vision du cinéma.

As-tu grandi avec des modèles d’acteurs ou de réalisateurs ?

J’ai grandi avec les films de Louis de Funès, mes parents étant des fans inconditionnels. Je les connais tous par cœur. De Funès, Bourvil… Côté réalisation, je suis fan de Chaplin. Le cinéma que j’adore, c’est aussi des films comme « Million Dollar Baby » de Clint Eastwood. Mais je n’étais pas axée réalisateurs au départ, car je n’étais pas vraiment vouée à la réalisation.

Quel a été le déclic ?

Grâce à l’école : là-bas, j’ai découvert que la réalisation c’est génial ! J’adore toucher à tout. J’ai tout fait lors de mon premier court métrage : le cadre, la musique, le casting… Être comédien, ça reste assez répétitif, malgré les différents rôles. En passant à la réalisation, je n’ai jamais fait deux choses qui se ressemblent. J’aime donner la ligne directrice, pour décider vers quoi aller et tester différentes choses.

Penses-tu que faire du cinéma est compliqué à Montpellier ?

Oui, mais ça l’est davantage à Paris. Je préfère lancer mes projets ici, c’est mieux. Montpellier, c’est petit. Si on arrive à entrer dans le réseau du cinéma, on connaît tout le monde en un an. À Paris, il y a tellement de monde, de propositions de scénarios… C’est une bonne stratégie de faire son trou en province. Je peux montrer de quoi je suis capable, sans avoir les contraintes de la vie parisienne. Mais je me doute bien que la capitale est un passage obligatoire.

Gloria Rodenas
Gloria Rodenas©Guilhem Sendras
Qu’aimes-tu dans le cinéma ?

C’est bien de représenter la réalité, mais telle qu’on voudrait qu’elle soit. J’adore faire des films populaires. Je n’ai pas la prétention de faire des films intellectuels, je veux toucher tout le monde. Le film populaire, c’est le meilleur moyen pour amener des messages aux gens.

Justement, quels messages fais-tu passer dans « Du satin blanc » ?

L’amitié, la tolérance et l’entraide. Ce film met en scène quatre jeunes appartenant à des contextes familiaux et culturels différents. Ils vivent pourtant comme une famille. L’homosexualité y est banalisée, pour montrer comment on aimerait que ce soit dans la vie. La surdité est aussi présente dans le film, avec le personnage de la petite fille, sans dire « Oh la pauvre regardez, elle a un handicap ». Elle est avec le groupe et tout le monde le banalise, vit avec, fait avec. Sans stigmatisation.

Gloria Rodenas signe une comédie sociale

« Du satin blanc » narre la vie de quatre amis : Sarah, Lily, Rose et Simon. Jeune maman de 23 ans, Sarah élève comme elle peut Amina, âgée de six ans et atteinte de problèmes de surdité. Tous vivent comme une famille, au rythme de leurs amours et de leurs emmerdes. L’amitié est la clé de tout.
Cette comédie sociale a été tournée à Montpellier et ses environs. Après le visionnage, on s’attend presque à voir Gloria au volant de sa Deuche traverser la place de la Comédie, ou à croiser Simon au Jardin des Plantes. Plongé au cœur de l’intimité de ces personnages, on devient le sixième membre de cette joyeuse bande.

Avec :
Camille Amilhat (Lily)
Léna Tassel (Amina)
Lise-Delhia Chemsseddoha (Sarah)
David Guerchon (Simon)
Gloria Rodenas (Rose)

Tu abordes les thèmes de la danse et de l’enfance. Ce qui était déjà le cas dans tes précédents courts métrages. Est-ce qu’il y aura toujours un fil conducteur entre tes créations ?

Je laisse toujours des petits clins d’œil. Dans mon premier court métrage, il y avait les chaussons de danse, la danse classique… J’en avais fait un autre avec un petit clown. Un clown, une danseuse… Il y a toujours des petits fils conducteurs. Le thème de l’enfance, c’est très important pour moi. Il y a des enfants dans tous mes films. C’est pur un enfant, c’est beau : ils vont faire le monde de demain. C’est important de les mettre en avant. Mais j’aime aussi tester des choses différentes.

« Du satin blanc » évoque entre autres une maternité précoce. Le personnage de Sarah (joué par Lise-Delhia Chemsseddoha) est maman d’une fillette de six ans, à seulement 23 ans. Comment as-tu créé ce rôle ?

Je me suis demandée : « Comment est-ce que moi je serais, si demain je devais élever un enfant ? »

J’ai vécu cette situation avec des amies qui ont été confrontées à ça : tomber enceintes jeunes, savoir si elles vont garder l’enfant ou non… C’est quelque chose que je voulais exprimer, alors je me suis demandée : « Comment est-ce que moi je serais, si demain je devais élever un enfant ? ». Je pense que je serais comme Sarah, à l’oublier partout… Je trouvais ça drôle. C’est une angoisse récurrente des jeunes de mon âge. Nous nous imaginons tout de suite la catastrophe. J’ai tourné cette peur en comique. Le principal, c’est de sortir d’un film avec un sentiment positif.

Comment le projet a-t-il commencé ?

Au début, je pensais plus à une websérie de dix épisodes. J’imaginais un « Sex and the city » à Montpellier. Je voulais axer sur les jeunes et montrer la ville comme je la vois et je la perçois. Camille Amilhat, l’une de mes amies, m’a encouragée dans ce projet [co-scénariste, elle joue le rôle de Lily dans le film, NDLR]. Nous avons fait un brainstorming avec toutes nos idées. Je suis très visuelle : je voyais tout de suite la scène où Sarah oublie sa fille au supermarché, se trompe d’enfant et repart avec le mauvais… Nous avons réalisé plein de petites scènes, jusqu’à avoir assez de matière pour créer une histoire autour de ça. Nous nous sommes alors tournées vers le long métrage.

Combien de temps t’a pris l’écriture du scénario ?

Entre un mois et un mois et demi. Nous avons fait le film dans le désordre. Au début, nous avions nos idées, soit à peu près la ligne conductrice, sans que le scénario soit vraiment écrit. C’était un film bénévole, alors nous avons dû faire avec les moyens du bord. Nous avons attendu très longtemps avant de finaliser le scénario. C’est presque ce qu’on a terminé en dernier avant de tourner. Nous voulions faire tous les castings avant, trouver tous les personnages. Nous avons eu beaucoup de chance : tous les gens que nous avions imaginé ont défilé les uns après les autres !

Léna Tassel joue Amina, une petite fille atteinte de surdité. L’actrice est elle-même malentendante. Est-ce que tu l’as aussi rencontrée via les castings ?

Oui, sa mère prenait des cours de théâtre avec mon amie Camille. C’était une chance : elle est venue passer le casting avec la petite. Nous sommes tombés sous le charme en découvrant Léna. Elle est super. Elle n’avait jamais joué la comédie avant. Nous avons fait quelques répétitions, puis c’est venu tout seul. Elle n’avait que six ans : c’est rare de prendre des enfants si jeunes sur un tournage, surtout pour un film bénévole. Nous avions peur qu’elle ait du mal à s’intégrer, mais elle est devenue la mascotte de l’équipe. Tout le monde l’adorait, nous étions comme une famille.

Ton film a été réalisé grâce à un financement participatif. Sans Internet, penses-tu qu’il aurait pu voir le jour ?

Non, ça n’aurait pas été possible du tout. Près de 350 bénévoles étaient présents. Je pense que 250 d’entre eux sont venus via les réseaux sociaux ou les annonces. Nous avons fait beaucoup de communication par Facebook : c’est gratuit. Grâce à ça, nous avons trouvé presque tous nos figurants, des lieux de tournage… Nous avons aussi eu une aide de la Ville de Montpellier, pour la communication et pour trouver les emplacements.

C’était un défi de faire un film pour moins de 10 000 euros !

C’était un très gros défi. Parfois, des courts métrages faits bénévolement ne s’en sortent pas avec 20 000 euros. Nous avons ajouté des financements personnels, sans dépasser la barre des 10 000 euros. On a quand même pu se défrayer. Une fois le tournage terminé, nous nous sommes dit : « Ouf, on a réussi ! ». Mais en réalité, ce n’était que le début, et nous n’avions aucun moyen de le diffuser. Nous sommes alors entrés dans une seconde phase : quand le tournage s’est terminé, nous avons organisé des projections. On a récolté des financements grâce à cela, ce qui nous a permis d’inscrire le film en festival. On poursuit d’ailleurs les séances en ce moment.

Comment as-tu organisé le tournage ?

Le travail était partagé en deux : les techniciens pour l’étalonnage ou les effets spéciaux – qui travaillent de chez eux – et sur le plateau de tournage, où nous étions tous très polyvalents. Par exemple, si le preneur de son n’était pas là, je tenais la perche, ou quelqu’un d’autre le faisait. L’équipe technique était réduite, le noyau se constituait de quatre ou cinq personnes. Nous n’étions parfois que deux, quand on tournait une scène sans avoir besoin de son. C’était aussi un tournage familial : ma mère faisait les sandwichs… (rires)

Gloria Rodenas
Gloria Rodenas©Rossana Gombetti / Golden Movie Award – London 11.01.2018 – Canada Water Theatre
Les récompenses

• En compétition au Sunlight International Film Festival 2018, à Moscou.
Meilleur film Petit Budget 2017 aux Gold Movie Awards de Londres.
Meilleur long métrage Zéro Budget 2017, au Sunlight International Film Festival, à Berlin.
Prix « Jeunes qui osent » du Crédit Mutuel.
Prix Bourse Initiatives Jeunes, par la Ville de Montpellier.
• En compétition au Cap et à Calcutta.

As-tu un moment “coup de cœur” dans le film ?

Oui à la fin, quand Amina danse et que tout le monde se réunit autour d’elle. Cette scène est très importante pour moi, car c’est un souvenir d’enfance. Petite, j’ai fait de la danse classique. La chorégraphie montrée est celle que j’ai faite quand j’avais son âge, mais retravaillée avec une chorégraphe. En plus, c’était notre dernier jour de tournage. Nous étions épuisés mais nous ne voulions pas que ça se termine. Tout était bon pour gagner du temps, même refaire des prises. Nous avons tous pleuré à la fin. Nous avons mis deux heures à ranger le matériel, alors que d’habitude, c’était fait en un quart d’heure.

« Du satin blanc » a reçu de nombreuses récompenses en France et en Europe, comptes-tu l’emmener encore plus loin ?

Le plus loin serait le mieux. Tout dépendra des retombées lors des projections et des futurs financements. Notre but, c’est de faire vivre le long métrage jusqu’à l’année prochaine. Lorsqu’un film comme celui-ci sort, il a deux ans de vie en festival, après sa première officielle. « Du satin blanc » n’est pas produit et ne peut pas passer en circuit classique, alors il ne sera pas distribué dans les grandes salles. Mais nous organisons des projections à Montpellier et dans les petites salles alentours. Nous avons déjà la liste des différents festivals qui nous intéressent, mais les inscriptions sont chères. Parfois, le film n’est pas retenu, sans que l’on puisse savoir pourquoi.

Quel est le retour de tes proches ?

J’ai la chance d’avoir été soutenue par ma famille : j’ai porté ce projet pendant deux ans, sans pouvoir travailler à côté. Mes proches ont été à la fois fiers et étonnés. Je pense qu’ils ne s’y attendaient pas. J’ai dû affronter quelques jugements, car je n’ai pas fait un film “dans les clous”.

Comment te places-tu en tant que femme réalisatrice ?

Il y a très peu de filles dans ce milieu. Je ne travaille qu’avec des garçons. C’est parfois compliqué.

J’ai par exemple eu des problèmes avec l’un des acteurs de mon long métrage. Il refusait de m’écouter car j’étais une fille, qui plus est plus jeune que lui. J’ai aussi été confrontée à des acteurs ou des techniciens que je n’ai pas pris sur le projet, car ils ont tenu des propos sexistes en imaginant une femme à la réalisation. C’est la même chose côté production. Des producteurs m’ont appelée, mais j’ai coupé court. Même s’ils étaient intéressés par mon travail, ils se sont montrés dévalorisants car j’étais une femme. C’est un milieu très macho.

Penses-tu que le travail des femmes peut être décrédibilisé dans le cinéma ?

Oui, il y a clairement une différence de traitement, nous sommes moins prises au sérieux. C’est pareil dans tous les milieux. Je ne me plains pas, il faut passer au-dessus. Autant s’entourer d’autres personnes.

Aimerais-tu écrire sur le féminisme ou le sexisme ?

J’aborde le féminisme à ma manière, avec « Du satin blanc » c’est un sous-thème. Il y a trois femmes. Aucune n’est avec un homme, car elles n’en ont pas forcément besoin pour s’accomplir dans leur vie. Le spectateur le découvre au fil du film. C’est caché. Si je l’exprimais trop clairement, ça resterait quelque chose de négatif. Je préfère « planter une petite graine » dans la tête des gens, et suggérer un message positif. C’est plus intéressant de l’amener comme cela.

Gloria Rodenas
Sur le tournage du teaser de « Donnez-moi un ciel de coton » de Gloria Rodenas©Christophe Pellé
Quels sont tes projets ?

Je travaille en ce moment sur mon prochain long métrage « Donnez-moi un ciel de coton ». Il se tournera lui aussi dans la région : je veux continuer à mettre en avant les talents locaux. Nous venons de tourner le teaser. Il devrait nous permettre d’avoir une boîte de production. Je vais faire quelque chose de plus poétique avec ce film, c’est ce qui me correspond le plus. Il devrait sortir d’ici 2019.

Pour découvrir l’univers de Gloria Rodenas

Site internet de Gloria Rodenas
Page Facebook pour découvrir « Du satin blanc »
Événement Facebook pour assister aux prochaines projections du film

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