vendredi 29 mars 2024
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Lore Camillo, dirigeante de l’entreprise Les Poteries d’Albi

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Le regard tourné vers l’avenir, Lore Camillo puise sa force dans le savoir-faire ancestral pour diriger la dernière poterie artisanale d’Albi.

Découvrez l’interview dans son intégralité :
Bonjour Lore, pouvez-vous nous présenter votre activité ?

Les Poteries d’Albi, c’est une entreprise du patrimoine vivant qui existe depuis 1891 et basée sur l’Albigeois, au cœur de la ville de briques (Albi, ndlr). On était autrefois briquetiers tuiliers, pendant quatre générations, et ensuite on est devenu potiers. On fabrique tout à la main au tour, on émaille également par trempage. Ce sont des poteries pour la décoration à destination de la maison ou du jardin.

Comment passe-t-on d’une école de commerce à la poterie ?

C’était une école très généraliste sur les ressources humaines, le commercial, la vente et les achats, et aussi le management. Pour moi l’humain, c’est primordial. J’avais fait un autre cursus, j’étais dans les cosmétiques, un métier assez agréable pour une femme. Mes parents avaient décidé en 1997 de créer une autre poterie Clair de Terre, non loin d’ici à Lescure-d’Albi, que j’ai gérée pendant 17 ans. En fait, il y a trois-quatre ans, ils ont décidé de prendre leur retraite. S’est posée alors la question – j’avais pile 40 ans – de continuer et de tout reprendre ou de tout arrêter. Je suis née et j’ai grandi là : j’ai vu ma grand-mère défourner les briques ; j’ai vu mon grand-père veiller et alimenter les fours en charbon ; j’ai vu mes parents prendre la suite… En fait, je ne me voyais pas au bout de 17 ans faire autre chose parce que c’est quand même un métier très prenant, de passion, c’est un métier où tous les sens sont en éveil. Et puis d’une idée, on en fait quelque chose : je dessine des croquis, les tourneurs voient si c’est réalisable ou pas, après on fait des recherches de couleurs, on essaie d’associer les deux. C’est un métier très épanouissant je crois. Aujourd’hui, je peux avoir des idées, mais si je n’ai personne derrière pour les réaliser, Les Poteries d’Albi n’existent pas.

J’ai vu mon grand-père veiller et alimenter les fours en charbon.

Vous participez à la création des modèles ?

Oui complètement. Nous n’avons pas de designer en externe, tout a toujours été fait en interne. C’était maman pendant quarante ans sur Les Poteries d’Albi, et moi sur Clair de Terre. Je pense qu’on a la chance d’être des femmes et d’aimer le côté esthétique et déco. On s’imprègne de tout ce qui nous environne, que ce soit dans le prêt-à-porter, la décoration intérieure, on regarde des salons comme Maison & Objets qui nous donnent les inspirations du moment en terme de formes ou de couleurs. En fait, j’ai toujours aimé l’écriture, le dessin. Plus jeune, je voulais devenir journaliste-reporter – vous voyez où je suis aujourd’hui – mais les débouchés étant un peu compliqués, j’ai finalement fait une école supérieure de commerce, donc rien à voir avec le design ou la création. Mais mon grand-père avait ça, ma mère l’avait, je pense que j’en ai un peu hérité !

C’est quoi être chef d’entreprise ?

Mener une équipe. Ici, on est une quarantaine. Un peu comme dans le sport, c’est fédérer les gens sur un projet, leur dire vers où on veut aller, et essayer d’aller ensemble vers ce point. Je ne dis pas que c’est tous les jours facile mais c’est hyper enrichissant. Ce qui est gratifiant pour un chef d’entreprise, c’est d’arriver à ce que son équipe se sente bien dans son boulot, qu’elle arrive à être autonome voire être force de proposition. Je me souviens lorsque je suis sortie de mon école de commerce, j’en avais plein la bouche, je disais à mon père comment il devait faire en ressources humaines… (rires) Et puis il m’a gentiment répondu : « quand tu y seras, on en reparlera ! ». Dix ans après, on en a reparlé et il avait raison, tout n’est pas écrit dans les livres, il y a beaucoup de choses de l’école de la vie. Quand on est à l’écoute des salariés, dans la mesure de ce que l’on peut réaliser, que la porte soit toujours ouverte et que la communication soit directe, c’est déjà beaucoup pour travailler en équipe.

Et être une femme, c’est différent ?

Cela a sans doute influencé ma carrière, en plus j’évolue dans un univers d’hommes. Que ce soit au niveau des clients, des fournisseurs et de mon équipe, c’est à 90% des hommes. Je pense qu’on dirige avec nos sentiments, l’intuition et beaucoup d’humanisme – en tout cas me concernant. Il faudrait peut-être leur demander à eux, mais je crois qu’être dirigé par une femme ne doit pas être pareil que par un homme. Le lien que j’ai avec eux est très important pour moi, j’ai besoin de passer les voir tous les matins pour savoir comment ils vont, être à leur écoute car nous sommes avant tout des êtres humains, pas des machines. Or pour moi, le plus important, c’est que l’équipe soit bien.

Une cheffe d’entreprise qui a une PME, voire une plus grosse structure, ça reste très marginal aujourd’hui.

On reste assez minoritaires en France à être cheffe d’entreprise, par rapport à d’autres pays comme les États-Unis où c’est rentré dans les mœurs. Je pense qu’il faut qu’on pousse encore pas mal de portes pour changer les mentalités. La difficulté d’une femme chef d’entreprise c’est qu’elle doit arriver à tout allier, que ce soit sa vie privée, professionnelle, sa vie de femme, de mère… Alors autant les femmes auto-entrepreneures, dans des micro-sociétés, c’est assez développé aujourd’hui, autant une cheffe d’entreprise qui a une PME, voire une plus grosse structure, ça reste quand même très marginal aujourd’hui. Je trouve que c’est bien, vraiment, ce que vous faites de mettre en lumière des femmes chefs d’entreprise – de diverses tailles -, déjà pour voir ce qu’elles vivent, comment elles vivent l’entreprise de l’intérieur et pour le faire connaître au plus grand nombre et au public pour qu’il voit qu’on est comme tout le monde. On est forte mais on a aussi nos moments de faiblesse, faut pas croire. Nos interrogations, nos moments de découragement peut-être, mais dès que l’on remet la casquette – ou l’armure comme on veut -, on repart.

Des conseils pour celles qui voudraient se lancer ?

Il faut un certain temps pour démarrer une activité, donc il faut prévoir plus large pour dormir plus tranquille.

Quand j’ai démarré il y a vingt ans, je n’ai demandé aucune aide, aucune subvention. Aujourd’hui, il y a des aides de l’État, et au niveau européen, régional, départemental ou même de la Ville. Ces aides sont totalement méconnues pour la plupart. Je pense que ça vaut le coup d’aller pousser les portes de tous ces organismes et institutions. Elles peuvent bénéficier d’aides pour démarrer leur activité. Qu’elles n’hésitent pas non plus à faire appel à leur mairie, à la presse locale, pour parler d’elles parce que quelquefois, on se fait une idée de la communication en se disant que c’est inaccessible, mais je crois que si on reste simple et que l’on explique notre projet, on peut intéresser des gens. Il faut qu’elles soient conscientes de l’engagement et de l’implication que cela va engendrer dans leur vie, en terme de temps, de travail, et qu’elles anticipent l’organisation qu’elles devront mettre en place si elles ont une vie de famille à côté, qu’elles n’aient pas peur d’en parler clairement à leur conjoint. Et puis elles doivent blinder le côté financier parce qu’il faut quand même un certain temps pour démarrer une activité, donc il faut prévoir plus large pour dormir plus tranquille.

Quelles valeurs défendez-vous ?

J’ai embauché des réfugiés politiques palestiniens qui étaient chez eux des potiers. Ce sont des gens qui avaient un savoir-faire exceptionnel donc j’ai à cœur de mettre en avant ce savoir-faire mais en le stylisant au goût français. Et puis j’ai envie de les garder avec nous.

Quels sont vos prochains défis ?

Je ne veux pas que les gestes se perdent parce que c’est un métier ancestral et ce n’est pas pour rien qu’on est une entreprise du patrimoine vivant, nous sommes les derniers à faire cela. On a pris le pari d’investir dans l’avenir en accueillant trois apprentis cette année – une femme et deux garçons – pour pouvoir passer le flambeau parce que pour devenir tourneur, il faut au minimum deux à trois ans pour faire une forme d’une vingtaine de centimètres, donc pour faire des pièces d’un mètre, on imagine le nombre d’années nécessaires ! J’aimerais aussi ouvrir un musée dans l’enceinte de la poterie pour témoigner justement de tout ce passé de briquetiers tuiliers, qui était bien avant nous, pour qu’il y ait du sens entre avant, aujourd’hui et demain. Je veux ouvrir des ateliers pour les enfants et les adultes ce printemps. Et puis je n’exclus pas de devenir centre de formation d’ici quelques années parce que pareil, ça se perd et j’ai une maison en haut qui dort et qui pourrait accueillir des apprentis à l’année. Et d’autres choses dans les cartons…

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